Le jour se leva, je trouvai, avec plus de délicatesse que les autres jours. La présence de Sam apaisait un monde dont je m'étais faite à l'idée qu'il serait - à présent et pour toujours - dénué d'intérêt et de sens. Je ne voyais en l'avenir qu'une succession de jours ternes et sans vie. Plus maintenant ! Aller savoir pourquoi, mais avec lui j'avais de l'espoir. L'espoir que mes heures passées sur Terre serviraient enfin à quelque chose.
J'ouvris les volets aux premières lueurs et découvris pour la première fois Sam à la lumière naturel. Le teint blanc de sa peau m'effraya un peu mais je mis ça sur le compte de sa séquestration forcé au sein du laboratoire Chorus. À moins que ce ne soit dû au fait qu'il soit malade... Non, ça, je ne pouvais m'y résoudre.
L'ordre du jour était simple. Trouver de quoi habiller Sam et aller chez Monsieur Acido pour lui quémander des médicaments en lui faisant croire que c'était pour moi. Ça, on en reparlera plus tard. Pour le moment, la priorité c'était surtout de le débarrasser de cette affreuse blouse qui sentait le formole.
Sam n'était vraiment pas quelqu'un de gênant. Il avait passé le reste de la nuit à dormir paisiblement malgré la toux, totalement inconscient du monde dévasté dans lequel il venait d'apparaître. Il était comme un nouveau-né, naïf et rêveur. Depuis hier, il ne lâchait plus la grande couverture dans laquelle il s'était enroulé, cette même couverture en patchwork que j'aimais tant, confectionnée par maman.
- Sam, viens avec moi ! On va te trouver quelque chose à te mettre.
Il me suivit sans broncher dans sa petite blouse plus si blanche que ça et nous gravîmes les premières marches des escaliers. Le couloir, la cage d'escalier, le premier étage... Toutes ces pièces n'étaient plus chauffées depuis bien longtemps. Le froid en était saisissant et, bien que je sois convenablement vêtu, je ressentis cette désagréable sensation qu'était le manque de chaleur. Mon invité devait très certainement serrer les dents de toutes ses forces mais n'en disait rien. Il ne se plaignit pas une seule fois.
Depuis combien de temps n'avais-je pas franchi ces marches ? Depuis tellement longtemps que le premier étage revêtait maintenant un caractère sacré. C'était le symbole de mon ancienne vie, de tout ce que nous étions avant, ma famille et moi, de l'insouciante adolescente que j'étais.
Nous éclairions notre ascension à la bougie car j'avais depuis longtemps condamné tous les volets de l'étage. Arrivée sur le palier, je ne pus m'empêcher de faire une pause, assaillie par une multitude de souvenirs que je ne voulais pas revivre mais qui s'imposaient à moi malgré tout. Je pris une minute pour contrôler ma respiration et retenir mes larmes. Je n'avais pas le droit de m'effondrer.
Sam posa sa main sur mon épaule, un geste simple mais tellement réconfortant que je trouvai enfin le courage de continuer. Nous nous dirigeâmes vers la chambre de mes parents afin d'emprunter à l'armoire de mon père quelques vêtements pour mon nouvel ami. Ils faisaient tous les deux quasiment la même taille même si papa était légèrement plus grand.
Je tournai la poignée et pénétrai à l'intérieur, fébrile. Sam s'engouffra plus franchement dans la pièce tandis que j'observai sur le pas de la porte, les affaires ayant appartenu à mes parents reprendre vie sous la lueur de ma bougie. Tout était comme ils l'avaient laissé, la poussière en plus.
Sam actionna nerveusement l'interrupteur mais rien ne se produisit.
- Il n'y a d'électricité que deux heures par jour, lui expliquai-je. Entre treize heures et quinze heures.
Il ne répondit pas et se dirigea vers la fenêtre, sans doute dans l'optique d'ouvrir les volets.
- Non ! intervins-je un peu abruptement.
Il se figea et planta ses yeux tendres et délicats, plein de questions, dans les miens. À la clarté de la bougie, j'aurai parié qu'ils étaient redevenus dorés. Impossible, songeai-je. C'était sans aucun doute dû à la couleur de la flamme et à la pénombre mélangées. L'effet était sûrement le même sur moi.
- N'ouvre pas ! précisai-je.
- Pourquoi ?
- N'ouvre pas, me contentai-je de répéter.
Très honnêtement je ne savais pas pourquoi. Tout ce que je savais c'est qu'il ne devait pas les ouvrir. Je ne voulais peut-être plus voir cette pièce baigner dans la lumière. Ou alors j'avais peur de déranger ceux qui pouvaient peut-être encore y résider. L'ambiance ici était particulière, chargée. J'avais le sentiment de sentir leur présence, de revoir ma mère assise dans son fauteuil en train d'assembler les différents petits carrés de tissus qui composaient aujourd'hui encore ma couverture... Et mon père, je le revoyais assis sur le bord du lit à lacer ses chaussures avant de partir travailler, les joues fraîchement rasées.
Sam n'osa plus rien faire, se contentant d'observer en silence mes yeux se remplir de larmes sans jamais qu'une d'elles ne s'échappe sur mes joues. Il me laissa le temps de la peine et des souvenirs. J'en avais besoin.
Au fond, cela me fit le plus grand bien. C'est avec la peine que l'on sait que l'on tient à quelqu'un. Cela faisait tellement longtemps que je n'avais pas pleuré les membres de ma famille.
Quelques minutes plus tard, je repris une contenance, pénétrais enfin dans la chambre et ouvris l'armoire. Je pris tout ce que je pus. Je chargeai les bras de l'homme que je voulais habiller d'une multitude de pulls, pantalons et T-Shirt et remplis un sac de sous-vêtements.
Je n'eus pas beaucoup de remords à piller ainsi les vêtements de papa. J'étais heureuse qu'ils servent et puis, c'était surtout une question de survie pour Sam. Déjà qu'il était malade, on ne pouvait plus se permettre qu'il attrape froid. La seule chose qui me perturbait un peu, c'était de sentir l'odeur de mon père encore bien présente dans les fibres de coton. Comment allais-je réagir en sentant cette odeur sur Sam ?
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S.A.M
Science FictionEn 2050, le monde est soudainement ravagé par une nouvelle mutation du virus de la grippe que tout le monde pense inoffensif. Sans même qu'ils ne s'en aperçoivent, les Hommes se retrouvent victimes d'une pandémie et nomment le virus "la grippe X". P...