Chapitre 2 - Partie 2

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J'avais soigneusement détruit tous les miroirs de la maison, car je ne supportais plus de voir mon visage fatigué et détruit par le chagrin. Quand, lasse de ne plus me reconnaître, je m'imaginais, je voyais encore la jeune fille de quinze ans que j'étais avant la grippe X. Avant la Déveine.

J'avais grandi sans prendre conscience des changements physiques et physiologiques orchestrés par mon corps. Pourtant, je me savais affublée d'un physique agréable, mais qui avait besoin d'une belle gueule à notre époque ? Aucun intérêt. Aujourd'hui, j'étais une femme, mais j'avais l'impression d'avoir déjà vécu un million d'années et d'être au bout de ce que je pouvais donner.

J'avais de beaux yeux verts trop expressifs à mon goût et de longs cheveux bruns, coupés par mes soins au-dessus des épaules, avec des reflets cuivrés. J'avais un teint très clair que mes carences alimentaires n'aidaient pas à faire rosir et mesurai un mètre soixante-cinq la dernière fois que mon père nous avaient mesuré Paul et moi. Je voyais encore la marque faite sur le mur, près de la télévision, pratiquement tous les jours.

Je détournai très vite mon regard de la fenêtre pour me concentrer d'avantage sur mon choix de lecture et jetais mon dévolu sur "Les Hauts de Hurlevent", un grand classique de 1847 d'Emily Brontë, que j'avais toujours voulu lire. Je retournais dans le salon transformé en véritable petit appartement, saisis la couverture posé sur mon lit au fond de la pièce pour m'y emmitoufler et me fis une place au coin du feu. La flamme qui s'y échappait était un élément vital de ma survie. Grâce à elle, je me réchauffais et faisais cuire ma nourriture quand j'en avais. Je vivais littéralement autour de cet âtre, synonyme de vie et de sécurité.

Je m'installais confortablement dans mon fauteuil, déplacé depuis peu, tout près de la chaleur devenue nécessaire de la cheminée. À peine venais-je de m'y blottir, en ramenant mes genoux contre ma poitrine et en jetant la couverture sur moi, que je remarquai avec agacement que mon feu manquait cruellement de vigueur. À quoi bon s'installer confortablement si mon manque d'organisation m'obligera à me lever dans un quart d'heure pour aller chercher des bûches à l'extérieur ? Avant de pouvoir jouir pleinement d'un peu de repos, je devais me faire violence. Ainsi donc, je m'extrayais de mon siège et partis me chausser.

J'enfilai mon manteau et mon bonnet pendu dans la cuisine et traînai avec moi mon immense panier à roulettes dans lequel j'avais bien l'intention d'entasser assez de bois pour la nuit. Cette tâche me demandait beaucoup d'effort. Je n'étais pas très costaude et abattre des arbres et fendre des bûches n'était pas une activité facile pour une jeune fille frêle comme moi. Avec le temps, j'aurai peut-être les bras aussi forts et musclés que n'importe quel homme, qui sait. En attendant, j'économisais mes forces et mon bois de chauffage. Mine de rien, je n'avais pas d'autre choix que de maintenir mon feu toute la nuit si je voulais avoir de la lumière. Il fallait penser à tout quand on vit dans un monde sans électricité.

Je m'engouffrai dans l'obscurité de mon jardin et me maudis d'avoir oublié de remplir ce fichu panier en plein jour. La bonne nouvelle, c'était que la lueur de la lune me permettait tout de même de voir où je mettais les pieds. La pile de bois se trouvait juste à côté de la porte, contre le mur de la maison. Tant mieux, car j'avais bien l'intention d'entreprendre ce chargement le plus vite possible.

Le froid était épouvantable et je ne doutais pas qu'il me faudrait deux fois plus de bois que d'habitude pour maintenir une température supportable à l'intérieur de la maison. De la condensation s'échappait de ma bouche au fur et à mesure de mes inspirations et expirations. Plus vite j'aurais fini, plus vite je pourrais me faufiler sous ma couverture, au coin du feu pensai-je. Tant pis pour la double dose de bois, je mettrais mon manteau même dans la maison si ça pouvait me faire quitter l'obscurité plus rapidement.

Je n'étais pas à l'aise en dehors de chez moi en pleine nuit et les hululements de chouettes provenant de la forêt ne faisaient rien pour me rassurer. Soudain, j'entendis un bruit de branches qui craquent et lâchai précipitamment ma bûche pour me retourner en direction du danger potentiel. Elle me retomba lourdement sur les orteils et, tout en maintenant le bout de mon pied devenu douloureux d'une main, je ne quittai plus la lisière du bois un seul instant. Mon cœur s'accéléra lorsque je fus presque certaine d'y avoir vu une silhouette. Je fis prudemment quelques pas en arrière sans quitter des yeux ce que je pensais être un homme qui m'observait, là, debout derrière les tombes des membres de ma famille. Je ne pus en être sûre que lorsqu'il se mit à tousser.

Mon corps tout entier se figea, mes jambes se mirent à trembler si bien que j'eusse un mal fou à faire marche arrière jusqu'à la porte de la cuisine. Devais-je prendre mes jambes à mon cou et fermer précipitamment derrière moi ou devais-je rester prudente et rentrer le plus lentement possible sans faire de vague ? Il pouvait s'agir de n'importe qui, bon ou mauvais, mais son immobilité ne me disait rien de bon. Pourquoi m'observait-il ainsi ?

Je regrettais de ne pas avoir sur moi l'arme de Monsieur Acido. Quand je lui raconterais cette histoire, il exigera certainement de moi que je ne la quitte plus une seule seconde. Bientôt, je respirais tellement vite que la buée s'échappant de ma bouche vient complètement m'aveugler, me faisant perdre le peu de visuel que j'avais sur la silhouette de mon voyeur.

Je reculai prudemment, pas après pas, jusqu'à ce que mon dos entre en contact avec la pierre froide du mur de la maison. Presque aussitôt, mes mains s'empressèrent de chercher, à taton, la poignée de la porte. Hélas, dans l'empressement et la panique, je n'avais pas du tout atterri au bon endroit et un bon mètre et demi me séparait de la sécurité de chez moi.

Je n'osais plus faire volte face de peur d'offrir mon dos à cet intrus étrange qui se cachait dans l'obscurité sans rien dire. Je préférais, et de loin, voir chacun de ses mouvements afin d'anticiper et réagir le plus rapidement possible. Ne sachant plus quoi faire, j'osais le tout pour le tout.

- Qui est là ? 

S.A.MOù les histoires vivent. Découvrez maintenant