Prologue. La nuit tout est plus bruyant

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Je me réveille encore. Cette douleur qui me broie la poitrine, je la connais bien, je la connais depuis longtemps déjà.
La dernière fois qu'elle m'a rendu visite, c'était il y a deux mois à peine, alors que je dînais avec ma mère, un étage en dessous.

La souffrance me cloue au lit, et je n'ai même plus la force de crier, les mains crispées sur la poitrine, comme si ça pouvait arrêter cette douleur déchirante. A tâtons, je cherche sur ma table de nuit mes médicaments, mais au lieu de ça tout dégringole au sol; j'espère au moins avoir fait assez de bruit pour réveiller mes parents.

"- Maman! Papa!" J'hurle lorsque j'ai enfin réussi à me relever à moitié, en panique, et l'effort de la prononciation de ces deux simples mots manque de me faire perdre tout l'air que j'ai bataillé à inspirer.

"- ... Kaitleen?" J'entends le hurlement de ma mère, puis de lourds bruits de pas, avant que la porte de ma chambre ne s'ouvre en fracas. "- Oh, merde..."

Elle crie, alors que mon père rassemble mes affaires de manière procédurale. Ma mère se penche déjà au dessus de moi pour me relever délicatement comme une feuille froissée, pour m'allonger sur mon lit.

"- ... James, ses médicaments!" Crie-t'elle, avant que j'entende le froissement famillier de ma boite de cachets. Mon dieu, merci... "- ... Avales, oui, voilà, respire..."

J'essaie de faire ce qu'elle me dit, comme chaque mois presque, le même rituel se répète. Je sens ses doigts froids sur mon poignet, puis sa voix qui tremble:

"- ... Cinquante deux... Apelle les urgences."

Chaque mois, quasiment, mon cœur s'amuse à ne plus battre à la même fréquence, baissant jusqu'à cinquante pulsations minutes, ce qui m'empêche de respirer correctement.
J'ai pris l'habitude de gérer la douleur, parfois même de réguler les battements pour les remonter à la normale, mais la plupart du temps ce rituel m'épuise tellement que je finis une fois sur deux à l'hôpital.

Je sens qu'on me soulève, puis quelque chose glisse sur mon visage.

"- Ça va aller, Kaitleen, on s'occupe de toi..." La voix de mon père est douce, rassurante. De l'air frais s'insinue dans mes poumons, de l'air nouveau. Inspirer m'est presque douloureux, je sens qu'on me descends à l'extérieur de la maison.

"- ... Kaitleen Sandoval..." J'entends ma mère faire un descriptif de mon état de santé, mes antécédents, donnant ma date de naissance et soulignant le fait que mon cas est connu de l'hôpital de la région.

"- ... Oui, nous avons un dossier..." J'entends l'infirmier par bribes, ma tête étant sur le point d'exploser. Je me concentre sur le visage de l'ambulancière, au dessus du mien, qui parait plus préoccupée par le fait de ne pas faire basculer le brancard que par ma propre personne. Mais les deux sont liés.

"- ... Montez-la, voila, doucement, doucement... Vérifiez qu'elle aie asser d'oxygène... Madame? Madame s'il vous plait..." Je comprends que la femme parle à ma mère, à présent.

Il y a un moment de battement, après qu'on m'ait embarquée dans l'ambulance, et je cherche des yeux mes parents, jusqu'à les voir sortir de la maison en courant, une couverture dans les bras et un sac de sport sur l'épaule; mon sac d'urgence, celui qui contient toujours du linge propre et quelques affaires qui nous permettent de ne pas faire un autre aller retour épuisant de l'hôpital à la maison.
Et ça rassure ma mère de rester avec moi durant tout mon séjour à l'hôpital.

Un bip incessant me suit pendant tout le trajet, et je comprends un peu plus tard qu'il s'agit de mon propre poul. Il bat lentement, même plus que ce que je croyais.

La nuit, l'hôpital est bien plus beau que la journée. Non pas que j'aime l'architecture de ce bâtiment, mais à force d'y retourner, je finis par trouver de la beauté là où il n'y en a pas au premier coup d'œil.

J'entends les portes de l'ambulance s'ouvrir, et comprends que l'équipe d'urgentistes s'est agrandie, rajoutant ceux qui étaient sur place à m'attendre.

On me descends plutôt chaotiquement de l'ambulance, et un souffle chaud m'arrive dessus; les portes de l'hôpital s'ouvrent pour me baigner dans la lumière blafarde des néons.

Me voilà de retour à la maison.

Quelques battements de séparation ( TERMINÉE )Où les histoires vivent. Découvrez maintenant