Doux réveil

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Yunnan, neuvième siècle. Le jour se levait au royaume de Nanzhao.

Un premier rayon pénétra les persiennes. Je tentai de prolonger mon sommeil. Mon rêve fuyait déjà, lui qui m'avait semblé si réel. La force de ses bras nus, son parfum musqué contre mes lèvres. Je gardai les yeux fermés pour les retenir. Juste encore une minute. Ces pensées impures qui m'assaillaient depuis le printemps... que m'arrivait-il ? Je glissai une main entre mes cuisses pour remplacer celle qui avait disparu avec le soleil. Cette chaude moiteur, Calaf, dommage que tu n'en profitais pas. J'enfonçai mes doigts un à un, caressant mes chairs délicieuses, accueillantes. Mon oreiller étouffa les petits gémissements que je lui confiai.

Un tintement de vaisselle m'interrompit soudain. Je feignis de dormir, mais déjà Xianmei, la vieille servante en chef, repoussait les volets. Forcée d'ouvrir les yeux, je réalisai que les couches de mes consœurs étaient vides.

— Quelle heure est-il ? demandai-je d'une voix pâteuse.

— J'ai ordonné qu'on ne te réveille pas, tu as servi le conseil toute la nuit.

— Ils sont sur le pied de guerre, l'Empire...

— Liù ! Tu dois garder le silence, la discrétion reste la qualité première d'une esclave.

— À toi je peux tout dire, me défendis-je, tu es la plus ancienne domestique de Taïzu !

— Officier les soirs de conseil est un honneur, professa Xianmei en s'affairant dans le dortoir. Son Altesse t'accorde sa confiance. Tout ce que tu entends doit rester scellé derrière tes lèvres. Muette comme les carpes rouges du grand bassin de marbre. Ma loyauté au roi Taïzu te semble indéfectible, pourtant crois-moi, ne te fie à personne. On en a vu des fidèles retournés par l'ennemi. Sortilège et poisons sont légion à la cour. La peur pousse à commettre bien des crimes. Mais laissons cela. Ne traîne pas au lit, le Prince t'a fait mander !

Je m'agenouillai sur ma natte, pleine d'espoirs.

— Calaf ?

— Ne rêve pas, petite sotte ! Il s'agit du fils suprême, il choisit de nouvelles suivantes ce matin. Ta façon de servir le thé lui a beaucoup plu hier soir.

Nos regards se croisèrent. L'ancienne m'adressa un sourire désolé. Je soupirai.

— Le prince Ping, ce porcelet lubrique...

— Ne parle pas comme ça, il remplacera bientôt son père sur le trône, me sermonna Xianmei.

Puis elle ajouta avec une courbette :

— Que les Dieux protègent Son Altesse le roi Taïzu pour mille ans encore.

Je me hâtai de saisir la cruche de terre cuite et la cuvette qu'elle me tendait. Les esclaves n'avaient pas le loisir de discuter les ordres.

Je m'aspergeai d'eau froide, puis Xianmei entreprit de me peigner.

— Tes cheveux, quelle pagaille ! J'envie les rêves qui te décoiffent ainsi.

Je rougis sans lui répondre. La rude toilette n'avait pas encore tiédi mes ardeurs du matin. Elle continua.

— Un conseil, pour Ping. Les oies blanches l'excitent, alors ne lui offre pas l'image d'une pucelle à initier. Mais ne joue pas non plus la pouliche indomptable, il voudra te dresser. Incarne plutôt une plate et ennuyeuse soumission. Il déteste les filles trop dociles, celles qui se plient à ses caprices sans joies ni honte, en se retenant tout juste de bâiller.

Je restai coite. Jamais Xianmei ne m'avait tenu ce genre de propos. Je n'étais même pas sûre de comprendre de quoi elle parlait.

Liù, esclave impérialeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant