Liù, esclave impériale

Indiscrétion

L'absence du crieur ne m'étonna pas. Taïzu négligeait souvent le lourd protocole. Comme esclave personnelle du roi, je pouvais entrer sans être annoncée, je travaillais en silence, comme son ombre. Le plateau d'argent dans une main, je m'apprêtais de l'autre à écarter la portière de brocard quand des éclats de voix arrêtèrent mon geste. J'attendis, le souffle court.

Ping se trouvait auprès de son père. Et ils parlaient de moi.

— Liù est ma meilleure servante ! Elle est née ici, connaît la maison par cœur et montre une loyauté sans faille. Choisissez toutes les écervelées que vous désirez pour vos jeux ignobles, mais laissez Liù tranquille.

La voix exagérément obséquieuse de Ping répondit :

— Altesse notre Père, votre fils vous propose cinq de ses esclaves en échange. Très dociles.

— Je ne veux pas de vos esclaves, Liù devra bientôt remplacer Xianmei qui vieillit. Vos servantes... des filles vulgaires, sans aucune tenue, la honte du royaume.

— Mais très belles ! Elles raviraient les ministres et les généraux de Votre Majesté !

— Leur travail n'a nul besoin de vos fioritures. Que diraient les hauts dignitaires de l'Empereur devant tes poules de luxe ?

— Peut-être Votre Majesté obtiendrait-elle une baisse de nos impôts ?

— Suffit ! Je ne veux plus en entendre parler. Quand allez-vous décider de prendre vos responsabilités de Fils Héritier, au lieu de vous complaire dans les plaisirs immédiats ?

Derrière mon rideau, je ne savais que faire. Entrer et me trouver au cœur de la tempête ? Nous avions l'ordre, pour éviter d'embarrasser quiconque, de rester en dehors de toute discussion houleuse. La première qualité d'une esclave, c'était la discrétion. Jamais les invités, les princes, les ministres, les ambassadeurs ne devaient se sentir observés, surtout lors d'une remontrance, jamais ils ne devaient perdre la face devant les domestiques. D'un autre côté, le thé refroidissait et je devais obéir à l'ordre de l'apporter au roi. L'idée que Ping, furieux, finisse par sortir et me tomber dessus me remplissait d'effrois. Il saurait que j'avais tout écouté. J'étais coincée.