Prise dans les préparatifs du départ du roi, l'occasion de croiser Calaf ne s'était plus présentée. Dans les couloirs de la Cité, on commençait à chuchoter à propos de l'ethnie Bai. Ce peuple de montagnards enviait notre confort, à nous les Yi, peuple du fleuve.
Enfin, quand je disais « À nous les Yi », ma voix tremblait un peu, car d'après les rumeurs, ma mère aurait été d'origine bai, vendue très jeune à la cour du roi. Xianmei éludait toujours ce détail qui, avec le temps, était devenu invérifiable. Quant à mon père, j'avais beau questionner les domestiques, le mystère restait entier. Ma mère, semblait-il, partageait généreusement ses charmes.
Au palais, certains craignaient que nos voisins chinois établissent une alliance avec les Bais, dans l'objectif de nous renverser de l'intérieur. Des heures sombres se préparaient. Je consacrais toutes mes forces au service de mon roi, le pays entier comptait sur lui. Pauvre Taïzu, si pacifique, entreprendre à son âge un nouveau périple, lui qui n'aspirait qu'à suivre l'enseignement du Bouddha.
Enfin le cortège se mit en route avec les nombreux cadeaux de nos six provinces : chameaux, chevaux, tigres, ours à lunettes, éléphants forestiers, tapirs, léopards, viande de cerf, de chevreuil, puis œufs de poule faisane par milliers, dont les concubines impériales raffolaient pour nourrir leur chevelure, dans l'espoir d'adoucir la colère de l'Empereur.
Je les regardai s'éloigner le cœur serré.
Cette visite de courtoisie suffirait-elle ? Et ici, quels complots sévissaient ?
La mascarade de la partie de chasse pour discuter loin des oreilles indélicates ne m'avait pas échappée. J'avais bien réfléchi à « l'accident » de Calaf et j'étais décidée à le protéger malgré lui. Ping ne m'inspirait aucune confiance. Malgré la bonté de son père, il craignait que Calaf lui ravisse le trône. Heureusement, l'absence de Taïzu allait m'offrir quelques libertés.
Le cortège avait à peine disparu derrière les montagnes que la Cité se mit à bruisser de mille voix. Provenant du Palais de l'Est, de belles dames gloussaient sans retenue et de la musique traversait les murs. Curieuse, je me dirigeai en direction du joyeux tumulte quand quelqu'un me tira par la manche.
Xianmei.
Vivement, elle m'attira dans un coin, derrière une de ces immenses jarres remplies d'eau en cas d'incendie. Juste à temps. Ping passa devant nous à vive allure, il ne nous vit point. Xianmei roulait des yeux affolés.
― Ne traîne pas ici malheureuse, trouve-toi une solide cachette et restes-y.
Je la regardai, interloquée.
― Une cachette ? Que me dis-tu là ?
― Tu ne sais donc pas ? Ping organise ce soir une des orgies dont il a le secret. Il a juré de s'offrir ton corps en plat de résistance.
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Liù, esclave impériale
Historical FictionRoman érotique historique. (les 40 premiers chapitres) Yunnan, fin du IXe siècle. Liù est née au service de Taïzu, dernier roi du Nanzhao. Son statut d'esclave l'empêchera-t-il de séduire le prince héritier ?