La fessée

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Soulagée d'avoir échappé au prince Ping, j'occupai les jours qui suivirent à m'enivrer de pensées excitantes. Mon travail en pâtissait. Une esclave ne devait pas nourrir d'émois, pour un homme de sang royal, qui plus est. Avais-je rêvé ? Le visage de Calaf, si près du mien que j'avais senti son souffle, ses yeux qui un instant avaient hésité à s'aventurer sur mon corps et ce début de phrase qu'il avait failli prononcer. Ah ! Si seulement Ping n'avait pas interrompu ce moment grâce... Qu'allait-il me confier ? Je l'avais troublé, comme une femme trouble un homme, j'en étais sûre.

Plus tard dans la journée, ma belle confiance vacillait et le pessimisme donnait un goût amer à mes heures. Peut-être voulait-il juste me conseiller de retourner en cuisine pour quérir une théière chaude. Je prenais mes désirs pour réalités.

Toutes ces questions sans réponse me dévoraient le jour et me tourmentaient la nuit. Xianmei m'adressait des regards sourcilleux que je feignais de ne pas comprendre.

Quand je lui avais confié la tentative ratée de Ping, elle avait paru heureuse.

— Sa Majesté le roi ne lâche jamais personne à qui il a un jour attribué sa confiance.

Ensuite un éclat triste avait voilé ses yeux. Depuis, je m'interrogeais. Je connaissais si peu du passé de notre servante en chef. Pour consacrer sa vie au service de Taïzu, Xianmei avait-elle renoncé à quelques passions ? Je ne m'étais jamais intéressée à ces questions avant, pétrie de reconnaissance pour ma position, mais aujourd'hui que le désir m'enflammait, comment étancher cette soif sans désavouer mon roi et sa légendaire chasteté ?

L'oreille aux aguets du moindre vice, j'écoutai un matin une conversation en cuisines. Il s'agissait de calmer les turpitudes d'une jeune servante, surprise en train d'épier la toilette d'un maréchal-ferrant après son travail. La femme de l'artisan avait surgi derrière la pauvrette et demandé pour elle une punition. L'homme avait éclaté de rire, disposé la servante à plat ventre sur ses genoux et lui avait administré la fessée de sa vie. Les gens des écuries avaient tous admiré son fondement écarlate, mais son visage de honte était plus rouge encore. Après quoi, la voyeuse avait reçu un bain froid, pour calmer ses ardeurs. Aux cuisines, on riait beaucoup.

Un bain froid ? Peut-être devrais-je y songer avant que ma lubricité n'éclate au grand jour. Quant à la fessée, la perspective d'être maintenue, hanfu relevé, sur des genoux virils m'échauffait tout le corps. Quelle folie de me mettre pareille image en tête ! De l'eau froide, voilà ce qu'il me fallait et vite. 

Je disposais d'un peu de temps, le roi avait retardé le conseil des ministres où je devais servir. Plus question de déambuler comme une proie toute chaude parmi ces messieurs ! L'intérêt de Ping m'avait servi de leçon. Je me faufilai dans la cour où chaque soir les esclaves se livraient à leurs ablutions. 

Je n'eus pas le loisir de me déshabiller que mon prénom retentit dans nos murs.



Liù, esclave impérialeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant