Chapitre IV

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"Upon them depend the implicit standards that order the finer living of an age, the sense that this is worth more than "that" ". F. R. Lewis.

Le bruit du marqueur gravant les mots du professeur sur la surface blanche qu'est le tableau. L'odeur dudit stylo qui se répand dans la classe. La voix claire et distincte de Monsieur Gregor, qui énumère avec passion les différentes étapes d'une dissertation historique. En fond, un bruitage indistinct provoqué par les conversations des élèves entre eux. 

Dans la cour, deux élèves chahutent gentiment tandis qu'un groupe est assis entre les deux grands arbres nus surplombant l'espace ouvert, nous offrant un peu d'ombre en été. J'aperçois aussi un oiseau posé sur une branche, qui scrute le ciel, à la recherche du beau temps sans doute. Je vois les élèves remonter leur cache-cou ou fermer leurs vestes, signe que la température ne va pas en s'améliorant. D'un coup, tous se lèvent et rentrent à l'intérieur, à la demande d'une personne que je ne peux pas voir. Et la cour redevient silencieuse et inanimée, attendant la prochaine pause.


Je sens un poing me frapper entre les omoplates, m'arrachant une grimace de douleur. Un rire étouffé me parvient aux oreilles tandis que mon voisin de derrière se vante de son "exploit" auprès de ses amis. Mon attention revient aussitôt sur la classe, sur le cours pourtant ennuyeux de ce pauvre professeur. Ignorant la douleur dans le haut de mon dos, je tente de prendre des notes. 

Il n'y est pas allé de main morte sur mon pauvre dos abîmé après mes nuits blanches. Mais j'ai l'habitude, presque tous les jours, j'ai le droit à un nouveau coup, applaudis par presque toute la classe. Il y a ceux qui approuvent et ceux qui ne font rien pour changer ma situation, que je nomme les « passifs ». 

Ma main tremble, mon stylo s'écrase lamentablement sur ma feuille, ce qui déclenche une minute d'hilarité de la part de certains élèves. Les rires me parviennent, étouffés par le bruit de mes propres larmes qui dévalent mes joues, allant se poser sur ma feuille, brouillant les quelques notes que j'avais déjà pu prendre. Des larmes de rage contre moi-même, d'être aussi stupide pour leur offrir exactement ce qu'ils veulent.


Malgré tout cela, le professeur frappe dans ses larges mains ridées par le temps et réclame l'attention générale. Les larmes se tarissent petit à petit, mais je sens toujours sur moi les regards moqueurs. Une boulette de papier me frappe à l'arrière de la tête, menaçant de faire repartir les larmes. 

On essaye toujours de faire les fortes têtes, de montrer qu'on est "plus fort que ça", mais je n'y arrive plus. Une deuxième boulette m'atteint à l'épaule. L'espace de quelques secondes, je rêve que les armes soient autorisées, pour qu'un de ces élèves mette fin à mon calvaire. 

Le cours continue, malgré les boulettes qui frappent régulièrement chaque partie atteignable de mon corps et mon incapacité à prendre la moindre note. La tristesse laisse place à une profonde fatigue, elle-même vite remplacée par une colère sourde. J'en ai assez, d'être la cible de ces crétins, d'être celle qu'il est facile de faire pleurer.

Moi aussi, j'ai envie de me sentir supérieure à ces débiles, de leur montrer que leurs forces ne fait pas tout. Mon ventre se noue devant tant de colère et ma gorge se met étrangement à me brûler. Le bruit autour de moi s'estompe petit à petit, les mouvements ralentissent doucement. D'un seul coup, une énorme douleur se déclenche dans ma tête.

Une nouvelle migraine, mais celle-ci est pire. Au ralenti, mes mains viennent se poser sur mes tempes, mes yeux se ferment et ma bouche s'ouvre pour pousser un cri bien trop aigu pour un être humain. Autour de moi, tout s'est arrêté, je n'entends plus qu'un coup de feu et mon cri. Des images d'un enfant, blond aux yeux bleus, surgissent dans mon esprit avant de disparaître aussitôt, tel un mirage. Et comme c'est arrivé, tout s'évapore.

Les Chroniques d'Idan (tome 1) : La Dernière BansheeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant