Counting Stars (BONUS)

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Le parc est si calme comparé à la mélodie frénétique des battements de mon cœur, je patiente, le dos appuyé contre le dossier dur du banc. Mes jambes se balancent heurtant le sol régulièrement, je tire des bouffées de nicotine en rythme. Au loin, je fixe la balançoire dont les cordes rongés par le temps tombent en lambeaux. Le projet d'une aire de jeu flambante neuve à cet endroit a traversé l'esprit du maire de la ville il y a déjà quelques années, seulement il n'a toujours pas été mis en œuvre. Les enfants se contenteront donc de courir jusqu'à épuisement sur l'herbe fraiche en s'époumonant et peut être qu'un jour lorsqu'ils grandiront leur descendance profitera de meilleurs équipements. Après tout, ici, les départs se font rares, les écoles sont nombreuses, les logements corrects et le travail à porté de main si bien que peu sont ceux qui quittent définitivement le confort de nos quartiers populaires. De nombreuses générations de personnes et de familles ont parcourus ces rues avant nous et le cimetière héberge les ancêtres de presque tous mes camarades de classe. Je ne fais pas exception à la règle, je suis née ici comme beaucoup de Miller avant moi. C'est pourquoi, le départ de Tyler avait été un choc pour tous ses proches, même un être libre comme lui faisait partie intégrante de notre population. Il s'apparentait de la même façon que chacun d'entre nous à un élément du décor, un personnage certes secondaires comparé à l'immensité de la ville mais qui avait tout de même son importance. Il reviendrait. Si c'était une certitude pour la plupart des gens, je n'en étais pas moins sûre, puisque nous étions pareil et que je n'ai toujours eu qu'une envie: partir, fuir le plus loin possible.

Je sors de mes pensées qui divergent toutes vers la raison de ma venue et traque alors des yeux les alentours à sa recherche. Il faut croire que l'avis général l'emporte sur le mien puisque comme prévu, une ombre surgit soudainement à travers les arbres, une silhouette chancelante presque indétectable. Le moment tant attendu me parait si irréaliste que je crois d'abord que l'alcool bu durant la soirée lycéenne me fait halluciner. Ma respiration haletante s'accélère, mes poings s'agrippent fermement au bois qui supporte mon poids.

« Salut, souffle-t-il une fois arrivé à ma hauteur, je t'ai manqué ? »

Je secoue la tête souhaitant faire bonne figure incapable de cacher mes cernes approfondies par l'inquiétude éprouvée et les quelques larmes versées. Un sourire parcourt le visage de Tyler durci par l'absence et me gagne aussi lorsqu'il s'installe à mes côtés comme si de rien était. Il a cet air de nonchalance surprenant tel qu'aucune émotion ne passe la barrière de ses traits fermés. Il attrape la cigarette coincée entre mes lèvres rosées et la fume à son tour. L'ambiance est étrangement lourde à présent, comme si l'attente nous avait rongé lentement au point de gâcher ce moment d'ordinaire si réconfortant. Tout semble différent malgré cette familiarité qui règne entre nos deux corps juxtaposés. Les questions se bousculent dans mon esprits et la colère prend place un instant effacée par la suite par le bonheur des retrouvailles. Je soupire, retrouvant presque cette évidence qui nous lie en silence. Il pose sa main libre sur la mienne en une excuse non-prononcée. Il sous-entend les sentiments qu'il ne me montre pas à travers ses actes étant tout comme moi peu friand des grandes démonstrations d'affections. Parfois les mots sont inutiles et seuls les gestes peuvent apaiser les cicatrices d'une âme lassée de patienter et de souffrir. Au fond, mes interrogations sans fin n'obtiendront peut être jamais les réponses escomptées mais ce qui m'importe est de le voir ici, si près de moi. Peu importe si son esprit reste d'une certaine façon lointain, caché, voilé de secrets terrifiants... J'ai encore le temps d'essayer de comprendre, n'est-ce pas le principe même de l'amitié ?

« Plus jamais, je ne te laisserai foutre ta vie en l'air par ma faute, je te le promets », il se décide à lâcher d'un ton navré dans un nuage de fumée nauséabonde.

Je secoue la tête encore une fois loin d'être sûre d'être prête à entendre ses paroles. On m'a toujours dit "Seule la vérité blesse." alors pourquoi cette phrase mensongère résonne douloureusement en moi ? Il a toujours été à mes côtés, que peut-il se reprocher ? Le suivre était ma décision et c'est toujours le cas, où il ira, j'irai puisqu'il est ce à quoi je me raccroche. Je pose ma tête sur son épaule qui frémit à mon contact si doux. Je me refuse de poser la moindre question ou de me torturer par son absence maintenant qu'il est de retour. De toute façon je n'ai pas le pouvoir de le forcer à exprimer des maux que je n'ose même pas imaginer dans le pire de mes cauchemars. Je le tiens de mon emprise aussi légère que puissante pour qu'il n'essaie pas de s'enfuir. Pourtant, j'ai cet affreux sentiment qu'il est déjà trop tard. Pour qui et pourquoi ? Je n'en sais rien, j'ai ce que je voulais cependant l'instant me semble presque factice.

STOPOù les histoires vivent. Découvrez maintenant