Chapitre 5 - Enseignements (1)

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« Il se tire une merveilleuse clarté pour le jugement humain, de la fréquentation au monde. Nous sommes tous contraints et amoncelés en nous, et avons la vue raccourcie à la longueur de notre nez. On demandait à Socrate d'où il était, il ne répondit pas,d'Athènes, mais, du monde. Lui qui avait imagination plus pleine et plus étendue,embrassait l'univers, comme sa ville, jetait ses connaissances, sa société et ses affections à tout le genre humain... [...] Ce grand monde, que les uns multiplient encore comme espèces sous un genre, c'est le miroir, où il nous faut regarder, pour nous connaître de bon biais. » (Montaigne, Essais, I, 25, 1580-1588).



Dormant, cette nuit-là, d'un sommeil difficile, entrecoupé de périodes d'éveil haletant et de rêves étranges, Eusebio se sentit presque reconnaissant lorsque le même serviteur qui lui avait apporté son souper la veille, repas auquel il avait à peine touché, vint le chercher, aux premières lueurs de l'Aurore. À l'aide d'une louche en bois, le jeune homme au crâne tondu puisa dans un grand seau de l'eau claire, qu'il versa dans la vasque, posa un linge propre à côté, et une poignée de perles colorées. Puis il sortit, laissant à nouveau Eusebio seul. Dans le corridor régnait une certaine effervescence, qui rappela à l'herboriste cette même agitation ensommeillée, les matins de marché ou de foire, lorsque les marchands s'apprêtaient à partir.

Eusebio fit donc une toilette sommaire, regrettant de ne pas avoir récupéré ses pots de remèdes, lorgnant les perles sans comprendre. Il les attrapa et sortit, espérant obtenir une explication. Ses collègues, vêtus et débarbouillés – certains avaient la peau, les cheveux humides, où perlaient parfois quelques gouttelettes d'eau –, se dirigeaient tous dans la même direction, par petits groupes bavards et enjoués. Eusebio remarqua alors qu'il lui était facile de distinguer les serviteurs parmi ses collègues, tout simplement à cause de leur coiffure ; si les premiers avaient le crâne tondu, les seconds portaient tous des perles colorées, tressées dans une unique natte fine, et qui pendait dans leur dos. Quelle que soit la coiffure, ou la teinte de cheveux, la même association de couleurs vives – vert, blanc et rouge – permettait de distinguer la classe des Lusragan de celle des serviteurs. Eusebio jeta un coup d'œil aux siennes, au creux de sa main.

Orange, vert, rouge.

Décontenancé, l'herboriste releva la tête, avisant Lenneth un peu plus loin. Eusebio s'avança vers lui.

– Bonjour, Lenneth, dit-il poliment.

L'autre le regarda d'abord sans sembler le reconnaître. Puis un éclair traversa ses yeux verts, et une moue ennuyée déforma ses traits.

– Bonjour, Kraft Lusragan Lenneth, répondit-il en appuyant chaque syllabe.

La femme aux cheveux ras, à côté de lui, pouffa. Eusebio n'y prêta pas attention.

– Je suis désolé de contrevenir aux politesses. Je ne les connais pas encore. Peux-tu m'aider ?

Voyant la mine dépitée de Lenneth, et le sourire moqueur de la femme, Eusebio ajouta :

– Kraft Lusragan Lenneth.

L'interpellé grommela quelque chose, regarda ce que l'herboriste tenait dans sa paume ouverte, avant de se mordre violemment les lèvres. À côté de lui, la femme ne fit pas preuve d'autant de retenue : elle éclata de rire.

– C'est une plaisanterie ? Un Kraft Lusragan illettré ? s'étouffa Lenneth. Cesse de rire, Moravia !

La domestique s'éloigna, se tenant les côtes. Lenneth, partagé entre la raillerie et l'agacement, jaugea un instant Eusebio, comme s'il essayait de déceler la moquerie sur son visage, puis poussa un soupir.

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