Chapitre 5 - Enseignements (2)

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Eusebio possédait un bon sens de l'orientation ; trouver l'endroit que lui avait indiqué Lenneth ne lui posa donc pas de problème. En revanche, sa curiosité d'esprit presque maladive et son penchant pour l'observation firent en sorte qu'il arrivât avec vingt bonnes minutes de retard.

Une galerie, fermée d'un côté par un mur plein, percée de l'autre d'arcades à colonnes de calcaire, s'ouvrait sur un jardin d'hiver, quelques étages en contrebas. La structure vitrée, au-dessus, laissait tout de même entrevoir le jour, malgré la neige qui s'y était accumulée. Il régnait une chaleur agréable dans cette loggia. Eusebio remarqua des arbres aux feuillages d'un beau vert tendre, des essences exotiques. Des lierres grimpants s'enroulaient paresseusement autour des colonnes.

Un vieux monsieur à l'aspect débonnaire se tenait appuyé sur la porte, de l'autre côté de la galerie, et surveillait six élèves, consciencieusement appliqués à copier des lettres sur une tablette de cire, à l'aide d'un fin bâton de bois. Les perles orange, dans les cheveux des enfants, cliquetaient au rythme de leurs mouvements.

– Qu'est-ce que c'est ? dit sèchement le maître en apercevant Eusebio.

La vision bienveillante jurait soudain avec la mine patibulaire. L'ample manteau de laine brune dissimulait un corps osseux, créant comme une aile de chauve-souris sur les membres fragiles, cassants. Les cheveux longs et raides se mêlaient à la barbe noire, striée de fils blancs, donnant de prime abord l'image d'un bon vieillard, mais les traits durs, sévères, et les yeux froids firent courir un frisson le long de l'échine d'Eusebio. Les élèves, âgés de six à douze ans, échangèrent des regards moqueurs, puis ricanèrent, étouffant leurs rires derrière leurs mains. L'homme esquissa une moue réticente en distinguant les perles dans les cheveux de l'herboriste. Ses yeux brillèrent un instant d'une sorte d'hostilité malveillante.

– Vous êtes en retard, constata-t-il avec raideur. Votre temps pour déjeuner s'en trouvera donc diminué.

Sans plus de cérémonie, il tendit à Eusebio une planchette d'érable recouverte d'une croûte de cire et un bâtonnet de bois, dont un côté avait été soigneusement taillé en pointe, tandis que l'autre, de forme aplatie, servait à effacer les caractères. L'herboriste la saisit et alla s'asseoir en tailleur dans un recoin.

– Nous en étions donc à la lettre N. Vous, Kraft Lusragan, reprenez depuis le début.

Les élèves, autour d'Eusebio, lui lancèrent des sourires narquois, avant d'être vertement repris par le Maître, dont les nombreuses perles de bois et d'argent poli, autour du cou, cliquetèrent désagréablement. Les disciples replongèrent aussitôt le nez dans leur tablette, imités en cela par Eusebio.

Il tapota la cire de la pointe de son stylet, réfléchit, mais ne trouva rien. Il ignorait par quel bout commencer, n'osant pas lever la tête, conscient du regard lourd de sens du maître et de sa mine réprobatrice. Eusebio enfonça légèrement son bâton dans la cire et se décida à tracer la lettre N, s'appliquant de son mieux, tirant la langue.

Un froissement de tissu près de son épaule lui fit relever les yeux. Le maître assena un violent coup du plat de la main sur la tablette de cire, qui tomba au sol en claquant. Les six gamins ployèrent l'échine et s'interrompirent. Leur silence, soudain, semblait pesant.

– Imbécile ! Tu tiens ton stylet n'importe comment ! Recommence !

Eusebio obtempéra, trop surpris par la réaction du maître pour protester, reposa la tablette sur ses genoux, hésita un instant avant de reprendre le stylet. Une nouvelle claque, cinglante, lui frappa les doigts.

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