Chapitre 11 - Intronisation (1)

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« Je jure par Apollon, médecin, par Asclépios, par Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin... Si je remplis ce serment sans l'enfreindre, qu'il me soit donné de jouir heureusement de la vie et de ma profession, honoré à jamais des hommes ; si je le viole et que je me parjure, puissé-je avoir un sort contraire ! » (Extrait du Serment d'Hippocrate, IVe siècle av. J.-C., traduction É. Littré).


Avant même qu'Eusebio s'en soit rendu compte, ils avaient regagné la métairie. La marche épuisante, la mort par asphyxie évitée de peu, la brève entrevue avec Neser, l'atmosphère poussiéreuse et passionnante de la bibliothèque ne lui faisaient plus désirer désormais qu'une chose, tandis qu'Al remettait Quiro aux mains des palefreniers ; dormir jusqu'au lendemain matin. Mais le petit homme ne l'entendait visiblement pas ainsi.

– Nous arriverons juste à temps pour l'Intronisation, dit-il en jetant un coup d'œil à l'ombre projetée sur un cadran lunaire, sur la petite place devant la métairie.

Il se tourna vers Eusebio et le toisa, grimaçant à la vue de ses cheveux en bataille et presque gris de poussière, de sa tenue froissée et de ses doigts maculés d'encre.

– Retournons à tes quartiers et tâchons de te rendre présentable.

Al ne laissa pas le temps au jeune homme de protester ou de l'interroger ; il l'entraîna à travers Pizance, jusqu'au Guet, lui fit franchir au pas de course escaliers, corridors et tournants – dont certains qu'Eusebio ne reconnut même pas – et le propulsa d'une main dans la salle commune des Lusragan. D'un claquement de doigts expert, Al attira l'attention d'un serviteur et lui demanda de l'eau chaude, du savon et une serviette de toilette, tout en pressant Eusebio de préparer une tenue propre.

– Fais vite, dit Al d'un ton qui n'admettait ni réplique ni question, je t'attends devant ta porte.

L'herboriste ne put qu'obtempérer, intrigué malgré lui par tous ces mystères. Il se dévêtit, s'aspergea les cheveux, le visage, le torse et les bras d'eau savonneuse, se rinça à l'eau claire ; il dut s'y reprendre à deux reprises, tant la poussière et l'encre s'étaient incrustées jusque sous ses ongles. Enfin, estimant qu'il pouvait épargner sa barbe de quelques jours du passage d'un rasoir, craignant de retarder Al trop longtemps, il se sécha soigneusement, enfila une tunique de lin propre, attacha ses cheveux mouillés en une queue de cheval approximative et enfila les trois perles sur une mèche rebelle, qu'il repoussa machinalement derrière son oreille.

Le petit homme le jaugea d'un œil appréciateur, poussa un soupir de contentement et hocha la tête, puis le précéda de nouveau à travers une longue enfilade de corridors – en direction du réfectoire, devina Eusebio cette fois-ci.

Une fois les portes de la grande salle franchies, l'herboriste fut cependant pris d'un doute, tant la pièce était méconnaissable. Les imposantes tables de chêne avaient été repoussées contre les murs, les bancs glissés sous les plateaux, et dissimulées sous des nappes blanches brodées de fils chamarrés, croulant sous les victuailles aussi diverses qu'alléchantes. Sur la chaux toute simple pendaient des tapisseries finement ouvragées, dont les personnages arboraient les perles et plumes inhérentes aux différentes castes et fonctions de Pizance. Les lourds volets intérieurs étaient fermés ; la lueur blafarde dispensée par les lustres projetait des ombres dansantes, presque inquiétantes, sur les murs – Eusebio aurait presque cru voir les personnages des tapisseries se mouvoir, tels des chimères spectrales. Une foule considérable était rassemblée autour d'une estrade de bois, au fond du réfectoire, et s'occupait en babillant. Un fumet délicat s'échappait du buffet, mais personne n'y touchait pour le moment.

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