Chapitre 26 - Alchimie (2)

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L'air frais qui lui picota les joues lui fit reprendre un peu ses esprits. L'herboriste, les yeux clos, respira par petites bouffées, s'obligeant à calmer le martèlement de son cœur. « Ce n'était qu'une crise d'angoisse, » se morigéna-t-il comme il l'eût fait à un enfant. Kukka n'était pas son jouet, il n'en possédait pas l'exclusivité. Pourquoi en aurait-il privé une société qui lui était venu en aide ? Eusebio veillerait personnellement à ce qu'Abbott soit remboursé... encore aurait-il fallu, pour cela, trouver un moyen de partir de Pizance. Mais, sans Kukka, une bête robuste – à laquelle, quelque part, incidemment, il s'était attaché... comment envisager le retour à Vertemer ? Ne devait-il voir là qu'un hasard ?

Le sentiment, frustrant et douloureux, d'être prisonnier enserra à nouveau le cœur du jeune homme. Il songea à ses autres possessions, au briquet à alcool, à ses précieux carnets, à la carte qu'il avait soigneusement enrichie, et se décida finalement à retourner à sa cellule pour leur trouver une cachette. Reprenant sa marche, il dirigea ses pas vers le Guet.

En dépit du petit marché autour de la fontaine, dont les filets d'eau gelée reflétaient des prismes de couleurs chatoyantes, Eusebio croisa peu de gens. La neige, amassée par endroits en tas boueux, avait perdu sa belle teinte immaculée, fuyait en clapotis frileux sous ses pieds et imbibait ses bottes. Il boitilla jusqu'à la margelle, prétexta, pour reprendre son souffle et masser son genou endolori, contempler les gouttelettes scintillantes qui perlaient des sculptures de glace. Au bout de la place, les quelques flâneurs s'écartèrent au passage de deux Véni. Entre eux, titubait un homme, les yeux vitreux, la bave aux lèvres. Ses gardiens l'encadraient, le poussaient parfois, lorsqu'il s'emmêlait les pieds et manquait de s'effondrer au sol. Ses cheveux, entièrement blancs, flottaient en mèches grasses devant son visage.

– Qui est-ce ? entendit l'herboriste non loin de lui.

– Je ne sais pas, répondit une femme.

Un malaise presque palpable avait envahi la petite foule, amassée soudain sur le chemin des Véni, jetant de brefs coups d'œil et détournant aussitôt les yeux de l'homme qui pendait, comme une poupée flasque, entre les bras des deux soldats. Quand le trio passa près de lui, Eusebio croisa le regard vide et mauve du fou.

Une angoisse monstrueuse, atrocement familière, lui emplit brusquement la gorge. Le souffle coupé, les jambes tremblantes, l'herboriste s'affala contre la pierre froide de la fontaine. Sa canne alla cliqueter contre la margelle de la fontaine. Des lueurs noires obscurcirent sa vue. Tout son être hurlait de désespoir face à un danger qu'il ne comprit pas, mais qu'il lui sembla connaître. La puissante impression que quelque chose de fondamental lui échappait, fuyant entre ses doigts comme de l'eau, l'envahit comme une déferlante pressante, douloureuse.

Une voix lui parvint de très, très loin. Eusebio s'y raccrocha, chassant sa torpeur.

– Tout va bien, Kraft Lusragan ? répéta le Véni.

Le soldat avait posé une main sur son épaule, prêt à le retenir. Sa poigne ferme, se rendit compte Eusebio, l'avait empêché de basculer en arrière. En sueur, la respiration heurtée, l'herboriste déglutit et hocha la tête.

– Il vous a fait peur ? l'interrogea l'homme, plein de sollicitude.

Derrière, le second Véni tenait toujours le fou par un bras, l'obligeant à se tenir sur ses pieds. L'étrange regard mauve restait rivé au sol. Un filet de bave glissa le long de son menton et resta suspendu au-dessus des pavés humides. Eusebio hocha de nouveau la tête.

– Ne vous inquiétez pas, dit le Véni. Nous l'amenons à la porte d'Onyx.

Il aida l'herboriste à se remettre sur ses pieds, s'assura qu'il tenait debout sans aide, lui tendit sa canne, puis rejoignit son collègue. Eusebio les regarda s'éloigner, songeur, son angoisse réduite à un malaise sourd, inexplicable, à un sentiment de déjà-vu tenace, désormais insaisissable.

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