Son regard se perdait dans l'immensité face à lui alors qu'un soupir profond lui échappait. Il était installé dans son fauteuil si confortable, derrière son grand bureau de bois et observait la vue que lui offrait sa bow-window. La page blanche face à lui ne parvenait pas à se noircir et il en avait plus que marre, encore. Il avait traversé la moitié du globe pour essayer de trouver l'inspiration mais elle continuait de le fuir. Alan avait l'impression qu'il ne pourrait pas la saisir à nouveau et cela l'angoissait. Son dernier roman devait-il être le dernier de sa carrière ? Il avait publié cinq romans depuis sa première publication et savait qu'il ne voulait pas s'arrêter là. Pour être tout à fait franc, son esprit ne cessait de divaguer vers le jeune danseur de la veille. Théo l'avait entrainé dans un monde différent de celui qu'il connaissait et cela avait été comme un nouveau souffle dans sa vie.
Même s'il avait mené sa vie sur un nouveau chemin après son divorce, l'écrivain n'avait pas passé une soirée aussi agréable depuis de nombreuses années. Il ne savait même plus quand il avait pu passer un aussi bon moment. Un instant de rencontre, de séduction et de luxure. C'était des choses si différentes que ce qu'il connaissait. Après tout, il avait été marié pendant cinq ans, à seulement vingt-trois ans. Bien sûr, il ne regrettait pas son choix car il avait sincèrement aimé son ex-femme. Il en regrettait seulement la conclusion : elle était partie avec un autre homme et ça l'avait profondément blessé. Lui qui voulait fonder une famille, espérant que des bambins couraient bientôt dans toute la maison, il s'était retrouvé à payer un loyer trop cher pour son simple revenu de barman.Un nouveau soupir lui échappa alors qu'il quittait son siège pour s'approcher de la fenêtre, posant son avant-bras gauche contre la surface froide, appuyant légèrement son poids dessus et sur sa jambe associée. Il ne voulait pas que le rêve s'achève maintenant. Il voulait continuer de voler, de vivre de ce qu'il aimait. Il ne voulait pas se reposer sur ses acquis et ne plus publier. Il aimait trop ça : écrire, sortir un nouveau livre, rencontrer ses lecteurs. Comment pouvait-il ne serait-ce qu'imaginer que tout ça pourrait prendre fin demain ? C'était inconcevable.
Un sursaut le prit quand la sonnerie de son téléphone brisa le silence de la pièce. Il s'éloigna alors de la vitre, passant une main sur son visage, avant de le récupérer. Lydia. L'écran affichait le nom de sa sœur aînée et il s'empressa donc de décrocher.
- Dia ! Comment vas-tu ?
- Salut petit frère. Je suis en super forme, et toi ?
- Je me prends la tête pour cette histoire de roman mais sinon, j'ai l'impression d'être au paradis.
- Los Angeles est si bien ?
- Tu n'imagines même pas. Je me suis acheté une petite villa alors, j'ose espérer que tu viendras me voir un jour ou l'autre !
- C'est quand tu veux, frangin. Mais je t'appelais parce que j'ai une grande nouvelle à t'annoncer.
- Oh ? Je suis curieux, dis-moi tout.
- Il se trouve que d'ici six ou sept mois... La famille va s'agrandir.
Restant un instant interdit, Alan échappa alors un petit cri de joie, provoquant un rire à sa sœur.
- Tu es enceinte ? Mais c'est génial ! Je suis vraiment super content pour toi, sœurette. J'espère que tu vas nous pondre un garçon, cette fois.
Riant à nouveau, Lydia lui répondit.
- Serais-tu lassé d'être le seul homme de la famille ?
- Rajoute nous donc un peu de testostérone !
- Tu n'as qu'à les faire, toi. Tu ne t'aies pas trouvé une sublime américaine à qui passer la bague au doigt ?
Esquissant un sourire que sa sœur ne pouvait évidemment pas voir, Alan laissa ses pensées divaguer vers le corps magnifiquement bien foutu du danseur qu'il avait rencontré. Il se reprit bien vite, ne voulant pas que sa sœur interprète mal ce silence.
- Tu veux que je me trouve une fiancée en à peine plus d'une semaine ? Tu vas bien vite en besogne, ma très chère sœur.
- J'aimerai juste que tu trouves quelqu'un à ta hauteur. Tu es quelqu'un de formidable, Alan. Tu mérites plus que n'importe qui le bonheur.
- Je n'ai pas besoin de quelqu'un pour être heureux. J'ai déjà eu ma dose avec Amanda et je n'ai pas vraiment envie de me faire avoir à nouveau.
- Je comprends parfaitement que tu sois méfiant mais tout le monde n'est pas comme elle.
- Je le sais bien. Mais, pour le moment, j'aimerai surtout trouver le fil conducteur de mon prochain roman. Je n'ai rien. Pas une once d'idée, pas un minimum de détails et encore moins de personnage principal. C'est un carnage et j'ai l'impression que je ne vais jamais y arriver.
- Détends-toi, Alan. Ce n'est pas en agissant comme ça que tu trouveras. Et tu le sais pertinemment. Essayes peut-être de changer de ce que tu as déjà pu faire. Trouve une direction totalement différente. Je ne sais pas, moi. Un nouveau décor, un nouveau genre de personnage. Tu es à Los Angeles, inspires-toi de ça. Utilise les décors autours de toi pour construire le nouveau décor de ton histoire. Croises des gens dans les rues et imagines leur vie. Imagines ce que tu pourrais en faire.
- Comme lorsque l'on était petit.
- Exactement. J'ai confiance en toi, Alan, je sais que tu peux y arriver. Il faut juste que tu cesses d'autant te focaliser dessus. Au lieu de chercher les idées, laisses-les venir à toi. Le monde a tant de choses à t'offrir alors profites-en.
- Merci, Dia. Ce sont des choses que je sais mais...
- Mais ce sont également des choses que l'on oublie très facilement. Tu ne peux pas te blâmer pour ça. Pour tes précédents romans, tu avais toujours l'idée suivante avant de finir celui en cours. Ce n'était pas le cas pour cette fois-ci mais ne t'en fais donc pas. Alan Leigh n'a pas fini de nous surprendre.
- Tu es vraiment la meilleure des grandes sœurs que l'on peut avoir.
- Je le sais bien !
Son rire cristallin fit sourire l'écrivain à travers le combiné alors qu'il l'a remercié à nouveau avant de raccrocher. Lydia avait raison : il réfléchissait trop et c'était ce qui le bloquait. Il devait cesser d'essayer de construire quelque chose en partant de rien du tout. Il devait faire comme il faisait toujours avant, quand il était au lycée et qu'il écrivait au lieu d'écouter les cours : il devait s'inspirer de tout ce qu'il avait autour de lui. La première ligne qu'il poserait ne devrait pas être obligatoirement la première ligne de sa prochaine publication.
Quittant sa villa après avoir enfilé une veste en jean sur son tee-shirt gris, Alan se mit à marcher le long de la route. Les mains dans les poches, il n'avait strictement aucune idée du lieu où il allait mais il s'en moquait bien : il fallait juste qu'il s'aère l'esprit. Il ne devait plus penser à rien. S'il avait traversé la moitié du globe, c'était pour prendre des vacances et non pour rester enfermé dans son bureau à se prendre la tête sur ce qu'il devait écrire. La température était plus qu'agréable, le soleil brillait et le ciel était bleu : le brun se devait de profiter de ce que la ville lui proposait. Et il comptait bien le faire. Los Angeles comptait de nombreuses choses à voir et il ne voulait pas en louper une miette.
Sa journée avait été presque magique : il n'avait pas pensé à son livre à chacun de ses pas, il s'était laissé porter par le son de la musique dans ses écouteurs. Il avait souri à des inconnus qu'il croisait dans les rues, il s'était amusé avec un petit garçon à côté d'une fontaine sous l'œil attendri de la mère. Il s'était acheté un smoothie glacé qui lui avait fait un bien fou et il avait acheté une gourmette en argent sur laquelle il avait eu un coup de foudre, l'arborant directement à son poignet tatoué. Alan était alors rentré chez lui apaisé, détendu et décontracté, tenant une pizza chaude dans sa main qu'il dévora devant un épisode d'une série quelconque qui passait à la télévision.
Ce fut une fois qu'il avait pris sa douche, ne portant en tout et pour tout qu'un boxer et un tee-shirt, qu'il s'installa sur son canapé avec le bruit de la télé diffusant des clips vidéos en fond sonore, son MacBook sur les genoux. Puis, sans réellement réfléchir, il laissa ses doigts glisser sur le clavier pour commencer à remplir la page blanche de nombreux petits caractères noirs.

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TABOO
RomanceLos Angeles, Juin 2017. Une rencontre entre deux hommes très différents qui vont pourtant apprendre à vivre ensemble. Beaucoup de choses opposent Alan et Théo mais, s'ils ont bien une chose en commun, c'est la passion de leur art. L'un est un écriv...