PARTIE 1 - Morbide rencontre

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Clermont-Ferrand

02 mars 2013 - 6H48

Ouvrir  les yeux lui demandait chaque jour davantage d'effort. Il lui devenait  de plus en plus difficile d'assumer les incessants maux de tête et  l'haleine infâme qui berçaient son quotidien, mais surtout il ne  supportait plus sa lâcheté d'avoir une fois encore été incapable de  s'empêcher de boire. Malgré toute la haine qu'il s'inspirait, Franck  savait à chaque nouveau réveil qu'il ne pourrait s'abstenir de finir  comme la veille et que son prochain réveil serait tout aussi détestable,  chaque jour il lui semblait franchir un nouveau cran dans la perte  d'estime de soi.

Pourtant  ce matin tout était différent. En ouvrant les yeux, il avait compris  que quelque chose n'allait pas. Rien ne se passait comme à l'accoutumée.

Un  pressentiment l'avait réveillé en sursaut, il lui manquait sa vieille  amie. Où était cette gueule de bois qui ne le quittait jamais ? Depuis  des années, chaque matin elle était là pour lui rappeler que la veille  il avait été lâche encore une fois. Aujourd'hui rien. Il appréciait ce  répit qu'il ne connaissait plus depuis longtemps. Pas de nausée, pas de  goût infâme sur la langue ni de douleurs lancinantes au creux des  tempes. Tous ces symptômes qui le faisaient se haïr un peu plus tous les  matins avaient miraculeusement disparu.

De  sa soirée il ne gardait que des bribes de souvenirs mais il se  rappelait vaguement s'être laissé tomber sur le canapé en rentrant. Ce  canapé qui depuis déjà trop longtemps était devenu son lit. Hier, Franck  était rentré bel et bien ivre, comme tous les autres soirs il n'avait  pas pu rejoindre le lit conjugal où Nancy sa femme devait l'attendre.

Sans  cet étrange réveil, il aurait pu profiter davantage de cet état de  plénitude, c'était tentant, mais le sentiment qu'une chose viscéralement  mal se préparait ne le lâchait pas, l'incitant à se lever pour vérifier  ce qui clochait.

Jetant  un regard au lit de fortune qu'il venait de quitter, tout bascula. Les  vertiges étaient de retour, non pas pour les vapeurs d'alcool qu'il  gardait de la veille mais face au spectacle qui s'offrait à lui. Franck  faisait face à sa propre image avachie sur le sofa, dans la même  position grotesque que son corps avait pris lorsqu'il s'était lourdement  laissé tomber. En bon alcoolique qu'il était, il n'avait fait aucun  effort. N'ayant pu trouver la force de se déshabiller il portait  toujours son jean sale, son sweat trop grand et ses baskets usées aux  pieds. Un bras et une jambe oscillants à demi dans le vide, bouche entre  ouverte, voilà le triste spectacle auquel Nancy était accoutumée.

Paralysé,  Franck ne comprenait pas, rêvait-il ? Passé la stupeur qui l'avait  submergé, il se força à reprendre le contrôle de sa conscience, pour se  pencher en direction du corps qui lui faisait face, le bras tendu prêt à  effleurer son soi. A peine frôlés, ses doigts ne rencontraient aucun  obstacle et traversaient le corps qu'il tentait vainement de secouer.  Pris à nouveau d'angoisse, il recula vivement de quelques pas, portant  ses deux mains à sa bouche pour tenter de bloquer le son d'effroi qu'il  était tout proche de laisser échapper. Prenant de grandes inspirations,  l'angoisse peu à peu laissait la place au désespoir. Tout lui échappait,  que lui arrivait-il ? Les excès d'alcool lui faisaient-ils enfin  connaître les crises de delirium ?

C'est un  rire qui le sorti de sa torpeur. Relevant vivement la tête en direction  du bruit qu'il venait de percevoir, Franck fût de nouveau assailli  d'épouvante.

Adossée  au mur, tête baissée, une immense créature ricanait. Franck ne  distinguait pas ses traits mais tout chez cet être était imposant. Sa  corpulence, ses longs cheveux couleur ébène même sa tenue finissait de  le faire contraster avec le reste de l'appartement. Vêtue de noir,  sortie d'un autre monde, d'une autre époque cette créature n'avait pas  sa place ici où les murs clairs et le mobilier moderne étaient en total  décalage avec l'apparition.

–                    Qui êtes-vous ? murmura Franck.

La  créature releva lentement la tête en plongeant son regard dans celui de  Franck. Ses yeux étaient comme le reste, deux grands abysses... un noir  total.


Ivresse mortelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant