Rester ou fuir

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L'un de nos patients a eu des complications suite à son opération et, même si ce n'est pas moi qui m'en suis chargé, Frédéric, celui qui l'a opéré, m'a demandé de l'assister et, depuis cinq jours, je n'ai passé que très peu de temps avec Raphaëlle, juste le temps de mettre au point son programme de rééducation avec les kinés.

Curieusement, avoir vidé mon sac avec Nadia m'a fait le plus grand bien. Mais j'ai confiance en elle, je la connais depuis que je suis arrivé, je sais qu'elle est très professionnelle et qu'elle ne divulguera pas tout ce que je lui ai confié.

Mais lorsque j'étais retourné dans la chambre 35 avant de terminer ma journée de boulot, je m'étais senti très mal à l'aise. Le regard de Raphaëlle sur moi a clairement changé : je n'y avais pas fait attention mais maintenant.... Si je suis satisfait de ses progrès depuis qu'elle discute avec Nadia, il y en a certains dont je me serais bien passé. Je ne suis pas psy : soigner des personne âgées en perte totale d'autonomie et atteintes d'Alzheimer ne me fait pas peur, mais m'occuper d'une jeune femme de 27 ans avec des pulsions d'ado, ça ne m'était encore jamais arrivé. Si encore elle fantasmait sur l'un des acteurs à la mode mais non, il a fallu qu'elle me trouve je ne sais pas quoi et maintenant il faut que je fasse comme si je n'étais pas au courant, que je garde un air détaché lorsque je la vois tout en sachant qu'elle se fait une image totalement fausse de moi.

Le fantasme du médecin je connais. J'ai suivi quelques formations là-dessus, pour savoir comment réagir si une femme nous faisait comprendre qu'elle s'intéresserait à nous mais pas pour l'aspect médical. Bien souvent, la personne se trouve dans un état de fragilité psychologique et émotionnelle qui la rend beaucoup plus vulnérable et il ne lui faut pas grand-chose, un regard, une poignée de mains pour tout faire basculer.

Manifestement, je suis moi-même responsable des changements intervenus chez Raphaëlle et je m'en veux énormément.

Je lui ai promis de ne pas la laisser tomber et maintenant je regrette cette promesse.
Tous les jours je lis avec elle ce qu'elle note dans son carnet et je me rends compte petit à petit que certaines de ses réflexions ne sont pas celles d'une adulte.

Evidemment.

Ses souvenirs au sujet de son enlèvement sont très clairs à présent et elle semble se rappeler de certaines choses au sujet de l'immeuble.

Elle est à présent certaine que c'est le chauve qui l'a amené sur place, elle se rappelle avoir pris le TGV pour Paris mais ensuite, tout est encore trop flou pour elle.

A chaque fois qu'elle a évoqué avec moi son arrivée dans la capitale, j'ai toujours fait en sorte de rester assis sur une chaise à côté de son lit en laissant un espace pour empêcher tout contact physique entre nous.

Ça me fait mal d'agir comme ça mais c'est pour son bien. Je ne veux surtout pas lui faire croire que quelque chose a changé entre nous et je me sens obligé de lui faire comprendre en réinstaurant une certaine distance entre elle et moi que les contacts que nous avons sont strictement professionnelles, que je suis son chirurgien et qu'elle est ma patiente.

Merde, fait chier quoi. Je ne veux pas qu'elle me voit à nouveau comme le médecin froid, distant, qui n'en a rien à foutre de ses patients. Mais qu'est-ce que je peux faire ?

Après avoir fait le tour du service et donné quelques instructions pour le weekend qui s'annonce, je retourne à mon bureau pour m'isoler.

La sonnerie de mon smartphone me fait sursauter et je fronce les sourcils en voyant qu'il s'agit de mon futur maitre de stage.

- Matthieu, bonjour je ne te dérange pas ?

- Bonjour Sylvain, non tu ne me déranges pas. Dis-moi, il y a un souci avec mon stage ?

L'inconnue des UrgencesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant