Mon travail : ça n'arrive qu'à moi !

1K 67 0
                                    

Alors que je rentrais une fois de plus dans le café et que l’odeur fétide m’assaillait de nouveau, la vieille mégère comme tous les employés la surnommaient « affectueusement » m’attendait de pied ferme. Cette vue me fit presque regretter de ne pas avoir abandonné mon sac dans le café.

- Tu pourrais faire un peu attention, un jour tu oublieras ta tête ! cracha-t-elle en me tendant mon sac d’un geste brusque. Oh au fait ! Dit donc ma chérie ! se radoucit elle en adoptant sa voix la plus fausse, j’aurais encore besoin de toi, c’est à dire que…il y a eu beaucoup de réservations pour ce soir et tous ont désertés, alors, si tu peux t’en charger…tenta t-elle.

- Je vous ai déjà dit que c’était impossible ! Je regrette, mais ma famille est plus importante que ce travail ! m’agaçais-je en la défiant du regard.

- Comment ?! hurla ma patronne en écarquillant les yeux d’effroi. Les quelques clients qui restaient dans le Café se retournèrent vers nous, espérant certainement assister à un spectacle qui puisse les divertir. Tu veux ma mort c’est ça ! Inconsciente ! Assassine ! C’est comme si tu me plantais un couteau dans le cœur jusqu’à la garde t’en rends tu comptes ?! s’indigna la mégère en me fixant de ses petits yeux porcins.

- Désolée, mais le bénévolat c’est fini, j’en ai assez de ce boulot pourri et…de vous ! explosais-je, pointant un doigt accusateur sur elle.

Mon interlocutrice, immobile et la bouche formant un O de stupeur se précipita soudain vers la cuisine. Elle en ressortit comme une furie, agitant mon tablier de serveuse sous mon nez. Elle me le balança alors sans ménagement.

Tandis que je baissais pour le ramasser, je vis la vieille s’enfuir aussi dignement qu’elle pouvait, sans un regard en arrière.

- Ne comptes pas retrouver du travail de sitôt ma chère, tu es virée ! s’exclama t-elle simplement, ses paroles résonnant dans le silence tel un arrêt de mort.

Désespérée, c’est ainsi que je passais la porte du CaféParadise, endroit maudit où je ne retournerais sans doute jamais.

Le désespoir s’abattit sur moi, la colère enflammant mon cœur, des larmes souillant déjà mes joues, je me dirigeais au coin de la rue, jetant au passage mon vieux tablier qui ne valait plus un clou.

- La voix de ma mère me réconfortera ! tentais-je de me rassurer.

J’entrais dans la première cabine qui se présentait, des affiches publicitaires s’y encadraient, j’y prêtais à peine attention. Je décrochais le téléphone puis composais les dix chiffres du numéro de mes parents.

Une voix sourde me répondit : Allô !

- Maman ! C’est moi ! sanglotais-je en reniflant bruyamment, espérant que personne ne pouvait me voir pleurant ainsi comme une enfant.

- Qui a-t-il mon ange, qu’est ce qui ne va pas ! s’inquiéta aussitôt ma mère.

Je décidais de lui dire la vérité, que je n’avais plus de travail parce que j’avais préféré rendre visite à mon père au lieu de faire encore des heures supplémentaires.

Ma mère ne trouva rien à répondre. J’aurais cru qu’elle se serait énervée, qu’elle m’aurait répondu quelque chose comme : je te l’avais bien dit, il n’y a rien pour toi à Paris, mais elle n’en fit rien.

- Je suis sûre que ta présence le remettra bien vite sur pied ! assura t-elle seulement d’une voix chevrotante.

- Le remettre sur pied ? Pourquoi ? Papa est malade ? ! Qu’est il arrivé ? m’affolais-je aussitôt, imaginant tout de suite les pires choses.

- Et bien…l’autre jour, il est monté sur le toit de la grange, il devait le repeindre et faire quelques réparations a t-il dit quand j’ai voulu savoir ce qu’il faisait mais…il est tombé et…il s'est cassé la jambe…murmura ma mère en reniflant bruyamment.

- J’arrive tout de suite, ne t’inquiètes pas, je suis sûre qu’il guérira très vite ! lui assurais-je en m’apprêtant à raccrocher et à bondir au dehors.

- Sophie ?

- Oui Maman ?

- Merci ! souffla ma mère, reconnaissante.

Je ne perdis pas une seconde, m’engouffrant à l'extérieur comme si ma propre vie en dépendait. Tremblante, je n’arrivais toujours pas à croire qu’il soit arrivé quelque chose à mon père, lui qui autrefois, était si fort et semblait jouir d’une immunité contre le danger et la maladie que tous les autres enviaient.

C’est alors qu’un petit garçon, pas plus haut que trois pommes, me barra la route.

- Qui es tu ? le questionnais-je indifféremment en essuyant mes larmes d’un revers de manche.

Il y a un élégant et riche monsieur qui m’a demandé de vous transmettre un message ! dit-il en faisant abstraction de ma question. Il se mit alors sur la pointe des pieds pour me chuchoter quelques mots à l’oreille.

- Mais…c’est que, je dois partir voir mon père, il a besoin de moi et…hésitais-je, excédée.

Je n’arriverais jamais à retrouver mes parents ma parole ! songeais-je avec agacement.

J’ignorais comment l’homme dont parlait le gamin avait appris qu’on m’avait viré de mon travail et je ne voulais pas le savoir ! Il me proposait soit disant une bonne place, offre à ne pas refuser paraissait-il, si je le retrouvais dès la réception du message dans une rue des environs.

- Il n’attendra pas, il dit que c’est très important et que les gens se battent pour ce poste ! insista le garçon.

Indécise, je ne savais plus quoi faire. La vérité, c’est que j’étais partagée, je ne pouvais pas me permettre de vivre dans la rue et sans cet homme, je ne retrouverais sûrement jamais d’emploi, n’étant qualifiée pour aucun secteur en particulier. Je m’occupais d’enfants quelquefois, lors de mon temps libre mais cela ne suffirait pas à subvenir à mes besoins. Surtout, je refusais de vivre aux dépends de mes parents, ils n’avaient déjà pas grand-chose...

- Bon d’accord, mais seulement une seconde ! acceptais-je en me mordant les lèvres de frustration. Je me doutais que j’allais encore le regretter…Comme toutes les décisions que je prenais en ce moment c’était une erreur…

Une pensée terrible me traversa alors : et si c’était des mensonges, si un assassin me tuait dans cette ruelle, personne ne le saurait !

Après tout, mon père ne m’en voudra pas pour un retard de quelques minutes, et puis cela ne changera rien à son état…essayais-je de me convaincre, faisant taire mon inquiétude.

C’est ainsi que je suivis l’enfant qui s’éloignait déjà en sautillant...

Les Observateurs : L'initiationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant