Chapitre 14

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Maël :

Le bras de Jo a guéri et sa fièvre est partie. Comme par magie. S'il existe un dieu, peut être n'est-il pas totalement contre nous finalement ? Cet événement inattendu a suscité une grande agitation parmi les élèves. Premièrement parce que un bras à peine amputé ne cicatrise pas en quelques heures. Et deuxièmement, parce que c'est Louann qui l'a guérie...

Je me suis assis contre un des murs du bunkers, capuche rabattue et musique à fond dans mes écouteurs. J'arrache nerveusement les petites peaux sur le pourtours de mes doigts. Dans ma tête, flotte les bribes des affreux événements de la journée qui vont sans doute me traumatiser le restant de mes jours. En vingt quatre petites heures, j'ai assez vu la souffrance et la peur pour toute une vie. Et rien, ni même ma très chère playlist ne peuvent y arranger quoi que ce soit. Rrrrrrrt. Rrrrrrrt. Rrrrrrt. Le crissement de la lame sur l'os me donne envie de vomir. Malheureusement pour mon corps, mon estomac est complètement vide, puisqu'il s'est déjà retourné il y a dix minutes. Et pour couronner le tout, je n'ai absolument rien à me mettre sous la dent.

Je suis partagé entre la culpabilité de ne pas avoir soutenu Louann et Jo durant l'opération improvisée et le soulagement de ne pas avoir vu la scène. Je suis en colère contre moi-même aussi. Une vraie mauviette. Tu as tourné de l'œil dès que tu as vu le bras coincé sous la porte. Je fais taire mon subconscient et tâche de penser à autre chose. Mais comment le faire, quand autour de vous ce sont vos camarades de classes faibles et blessés qui gémissent, dans les vapeurs odorantes de sang et de bile ? A cet instant, je me rends compte que j'ai terriblement envie de parler à la seule personne qui m'écoute : Louann. En même temps je m'y refuse, elle doit surement m'en vouloir de ne pas avoir été là au moment où elle en avait le plus besoin....

Je cherche des yeux ses grandes boucles blondes dans la petite pièce, en vain. Elle n'est pas là. Au moment où je commence à m'inquiéter, je remarque un petit couloir en parallèle du bunker. Je ne vois pas autres endroits où elle pourrait être. Pourtant, je ne la rejoins pas. Si elle est là, c'est qu'elle avait besoin d'être seule. Une silhouette brune viens s'asseoir à mes côté alors que je suis perdu dans mes pensées. Mon pouls s'accélère légèrement. J'ai toujours apprécié Mathilde. Ses cheveux sont sales et en batailles et elle a des coupures plein les joues. Malgré tout, elle conserve son regard sérieux, toujours en pleine réflexion.

-Salut. Tu as vomi ? fait-elle en désignant d'un mouvement de tête le bol que m'a passé Eimen.

Je sens mes joues s'empourprer tandis que je fais disparaître le récipient derrière moi.

- Quoi ? Non, enfin si...enfin je me sentais pas super bien donc...bref.

Elle éclate de rire. Un son qui explose dans le cafard de la pièce.

-Il n'y a pas de mal. Je dois t'avouer que moi aussi ça m'a un peu retourné. La chirurgie n'est pas dans le programme d'SVT de quatrième en général.

Je ris à mon tour. Certains lèvent la tête, un sourire en coin, d'autres nous observent ahuris tandis qu'une minorité nous jette des regards désapprobateurs comme si nous venions d'interrompre un silence de prière. Je les ignore. Mon moral remonte un peu.

-Et sinon, dis-je en retrouvant mon sérieux, tu tiens le coup ?

Je veux évidemment parler de Léa. La tension remonte aussitôt. Mathilde s'assombrit et Noémie qui écoutait notre conversation assise à quelques mètres émet une sorte de gargouillis semblable à un sanglot étouffé. Maël espèce de crétin. A cet instant, j'ai envie de me laisser coincer le bras sous une porte à mon tour.

-Je préfère ne pas en parler, souffle-t-elle la voix légèrement tremblante. Heu, je vais voir Noémie, mais ça m'a fait...plaisir de te parler.

Je traduis cette phrase en : "Gros nul, tu as tout gâché, je me casse viens plus me parler". Et je la comprends. Je pousse un soupir et relance ma musique. Je suis revenu au point de départ. C'est alors que Louann émerge du couloir sombre. Elle semble différente, comme prise d'une sorte de transe. Elle avance d'un pas décidé sans accorder le moindre regard à personne. Le bâton qui lui servait de canne pour corriger son boitement a disparu, tout comme ses petites blessures superficielles. Elle semble resplendissante et en pleine forme. Nous la suivons du regard avec des yeux ronds.

Sans plus s'occuper de nous, Louann, ou plutôt Louann n°2, s'agenouille auprès du corps agonisant de Jo, arrache violemment son bandage (ignorant les cris choqué et incompréhensifs des autres) et plaque ses mains sur le moignon sanglant. Je suis tellement bouche-bée que j'en oublie complètement mon envie de vomir. Et comme les autres, je m'approche de mon amie qui semble possédée par une force étrangère, plonger ses doigts dans le mélange poisseux de sang et de muscle de sa meilleure amie. On est tous trop heurtés pour intervenir. Thomas est le premier à réagir :

-Qu'est-ce que tu fous ! Arrête, tu la fait crever espèce de salope !

Mais Louann ne répond pas, trop concentrée sur son étrange rituel. Les autres se sont transformé en statues de sel. Thomas s'avance pour la frapper mais Martin le retient.

-Non attend ! regarde ça !

La moitié d'entre-nous manque de s'étrangler de stupeur. Il a raison. C'est infime pour le moment, mais sur la partie mutilée du membre, de la peau commence à se former.

- Ça....ça cicatrise ! je m'exclame sans vraiment y croire.

Je ne sais pas combien de temps nous sommes resté là, tous attroupés à contempler une fille ordinaire de notre classe reformer comme par magie de ses doigts le moignon frais d'une autre fille ordinaire de la classe. Une heure? Une minute ? Je n'en sais rien. Mais ce que je retiens, c'est que le bras de Jo à cicatrisé et qu'à l'instant, elle vient d'ouvrir les yeux. Sa respiration s'est calmée et sa température a chuté, mais elle semble encore faible. Pourtant, elle est vivante. C'est un véritable miracle.
- Ben alors ? Qu'est-ce que vous avez tous à me regarder comme ça ?

DownstairsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant