Chapitre 16

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Louann:

Quand j'avais douze ans, une fille de ma classe m'avait accidentellement bousculée. J'étais tombée sur le gravier sale de la cour, ma tête heurtant le sol granuleux, ma hanche se brisant sous l'impact. Je me souviens encore de ma vision brouillée et du goût du sang dans ma bouche. Mais je me souviens surtout de la lancinante douleur que j'avais ressentie de la taille aux  jambes. La pire de toute. Je hurlais, je n'avais jamais eu aussi mal de toute mon existence. A mon réveil dans ma chambre d'hôpital, je venais d'avoir été opérée en urgence. En plus de ma hanche douloureuse, j'avais la tête alourdie par les antalgiques et la langue pâteuse. Chaque mouvement était éprouvant, même respirer me faisait mal. A cet instant, je voulais mourir. Mourir pour mettre fin à cette torture. Maintenant que j'y pense. Ce que j'avais ressenti n'était rien. Rien comparé à ce que j'éprouve actuellement...

A genoux, je me penche violemment en avant en me tenant le ventre, sentant que je vais vomir. Je colle quasiment mon nez au sol de béton froid en émettant une toux grasse suivie d'un gargouillis. Comme je n'ai quasiment rien dans l'estomac, je me contente de cracher un filet de bile ensanglanté. Le sang. Encore et toujours.

Les autres m'encerclent à une distance plus que raisonnable qui en serait presque  vexante si la situation avait été normale. Sauf qu'elle n'est pas normale. Je viens d'être possédée par une créature inconnue qui m'a contrôlée afin que je puisse guérir Jo. Trouvez une once de normalité dans cette phrase. Je jette un œil à Alice, qui me fixe, debout en face de moi. Ce que je lis dans ses yeux...c'est de la peur. Je suis un monstre. Je contemple mes mains pleines de sang séché qui s'étend jusqu'à mes coudes, recouvre également mes vêtements et mes cheveux. Je jette un œil à Jo qui reprend doucement connaissance à côté de moi. Mathilde et Noémie l'entourent, aux petits soins avec elle. De temps à autres, ces dernières me lancent des regards furtifs, à la fois choqués et effrayés.

Je me relève péniblement. L'afflue de sang violent causé par mon redressement me donne la tête qui tourne. Je chancelle et me rattrape. Je sens les œillades appuyées de mes camarades qui me transpercent comme des lames de rasoir. Ils suivent avec attention chacun de mes mouvements, guettant une nouvelle réaction surnaturelle de ma part. Tâchant de les ignorer, je réprime mon malaise et lance :

-Jo va mieux, on devrait y aller.

Je suis surprise par le propre ton de ma voix. Dur et froid comme la glace, il me fait penser à du verre que l'on pile.

-Tu es folle, elle est épuisée ! Laisse la se remettre.

Il ne m'est pas difficile de reconnaître la voix de celui qui a parlé. Premièrement, parce que tous les autres me fixent en silence. Deuxièmement, parce que c'est cette voix qui m'a toujours soutenue au collège quand j'avais des problèmes (futiles comparés à ceux que j'affronte à présent). Je me tourne vers Maël, le regard vide :

-Je sais. Mais si on tarde trop, on ne sortira jamais d'ici. On va mourir.

Cette fois, mes camarades ne me regardent plus avec peur, mais avec ahurissement, l'air décomposé. Moi qui suis d'habitude si joviale, rassurante et positive. Où est passée cette Louann ? Je connais la réponse. Cet immeuble, ce monstre de lieu, cette putain d'épreuve l'a éradiquée. Même si je retrouve plus tard ma bonne humeur et ma joie, je ne crois pas quelle soit aussi pure que celle que je pouvais éprouver avant...tout ça. je ne serai plus jamais la même. Qu'on s'en sorte ou pas. Maël qui me fixe toujours en silence me prend par le coude et m'entraîne à l'écart dans ce même couloir où toute ma vie a basculée. Je voudrais prendre mes jambes à mon cou. Non. Non. NON. Je ne peux plus voir ce couloir. Pourtant j'y suis obligée c'est le seul endroit où je pourrais me confier à Maël. Mais que pourrais-je lui dire ? Qu'une créature humanoïde hante mon esprit et me donne des super-pouvoirs ? Il ne dit rien. Il se contente de me fixer de ses yeux bleus limpides. J'évite son regard. Je ne dirais rien. Je ne veux même plus y penser. Tout ce que je souhaiterais c'est rentrer chez moi, m'emmitoufler dans une couverture et dormir jusqu'à la fin de ma vie. Impossible.

DownstairsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant