Chapitre 2

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Palais royal de Brocéliande, 400 ans plus tôt



La fée longeait les couloirs. Elle aussi, comme l'elfe, ressemblait plus à une humaine qu'à un lutin ailé. Elle était belle, flamboyante même, ses boucles roux clair jouant sur son visage opalin. Il y avait ce cas étrange depuis hier impossible à élucider. Elle aurait donné n'importe quoi pour pouvoir découvrir le mystère qui se cachait entre ces murs.

Elle avait invoqué les esprits, les grands spécialistes, les sages, personne ne comprenait. C'était la nuit que ça se manifestait. Étrange. Le Petit Peuple, d'habitude si incompréhensible, se heurtait pour la première fois à quelque chose que lui-même ne comprenait pas...

Elle entra dans la salle. La souveraine des fées Fadaranna, la Reine elle-même et quelques conseillers, lutins, gnomes ou elfes en tous genres, la dévisagèrent. Ils virent sur son air soucieux qu'elle non plus n'avait pas trouvé la clé du mystère.

« Alors ? demanda un vieux druide.

— Rien, dit-elle. Seul le diable sait ce qui se passe, et personnellement, je n'ai pas envie de l'invoquer. »

Dans un coin, l'Ankou nettoyait sa faux, l'air sombre.

« Oui, c'est vrai. Il n'est pas de bonne humeur, depuis le dernier tour que lui a joué Myriddin...

— Eh bien, dit l'enchanteur en coin de table, il faut bien qu'on se taquine, entre père et fils ! »

Tout le monde eut un sourire gêné, se rappelant un épisode mémorable comprenant 52 vierges et deux ou trois sortilèges bizarres...

« Bien, dit Fadaranna. Il reste une solution, mais je ne crois pas qu'elle vous plaira.

— Je crois la deviner..., dit la Reine.

— Alors ? demanda un elfe.

— Nous allons nous servir des mortels comme instruments.

— Ma foi..., firent les lutins déjà souriants.

— Les humains ont une capacité incroyable à désirer. La prochaine fois qu'un homme s'aventure par ici, contrôlez-le de façon à ce qu'il aille à l'endroit où Elle joue de la harpe. Ôtez-lui la fatigue, au besoin, faites-lui inhaler un peu de poudre magique, et le tour est joué. Il tombera amoureux, il cherchera à savoir qui Elle est, et il voudra La revoir, il fera tout pour La revoir. Et à ce moment-là, il nous apportera toutes les connaissances que nous voudrons, car ils ont une détermination incroyable. »

Quelques-uns haussèrent les épaules. D'autres froncèrent les sourcils.

« Je suis pour, dit Myriddin.

— C'est intéressant, dit l'Ankou.

— Moi, je suis contre, dit la Reine. Ce n'est pas charitable.

— Mais ma pauvre Reine, reprit le vieux druide. C'est monnaie courante dans tout le Petit Peuple ! Il n'y a rien de plus normal qu'une jeune nymphe envoûte un mortel, depuis combien de temps n'êtes-vous pas sorti de Silvaphile ?

— Je suis d'accord, continua le chef des lutins.

— Nous aussi, firent les elfes.

— Mmmmh..., dit un gnome. Nous ne sommes pas vraiment d'accord. »

Fadaranna joignit ses mains en clocher.

« Eh bien nous sommes moitié-moitié. Cinquante pour cent pour, cinquante pour cent contre. Il me reste Volynia pour notre départage. Volynia, qu'en penses-tu ? »

La fée leva les yeux vers sa suzeraine.

« Je suis d'accord, décida-t-elle.

— Dans ce cas... »


*


Le soir suivant, Lao le cornemusier s'aventura dans des chemins longeant la forêt de Paimpont. Il faisait frais, et il n'avait pas envie de rester ici. L'endroit était un bon raccourci, mais on racontait qu'il y avait des tas de sorcières dans le coin.

Voyons... Il fallait prendre le chemin de droite ou de gauche ? Pas moyen de se le rappeler. Il opta pour celui de gauche.

Il marcha. La broussaille s'épaississait, masquant la pleine lune. Est-ce qu'il allait tomber sur une horde de korrigans ? Lao rit à cette idée idiote. Des contes du coin du feu. Pourtant, la nuit... Ça semblait soudain plus réel... Mieux valait ne pas penser à tout ça.

C'est alors qu'il La vit.

Elle était là, en train de jouer de la harpe dans une minuscule clairière, ses cheveux châtain lisses dégringolant par grosses touffes sur ses épaules rondes. Ses yeux... Ils étaient bleu pâle, mais le noir des pupilles aussi était pâle, comme s'il était à moitié effacé. Et elle était belle, gracieuse. Sa peau douce et fraîche avait un teint pâlot, mais sa minceur était diaphane comme il ne l'avait jamais vu chez aucune femme. Elle effleurait doucement les cordes brillantes dans l'obscurité, avec un air de méfiance constant, et en même temps une concentration sur son instrument comme s'il s'agissait de son seul réconfort.

Il voulut la toucher... Mais elle disparut aussitôt.

Lao resta effaré. Les sorcières. Bon sang mais bien sûr, ça ne pouvait être que ça. Elles se jouaient de lui. Il fallait partir d'ici au plus vite.

Il s'éloigna prudemment de quelques pas, puis courut de toutes ses jambes et s'enfuit dans les ténèbres de la forêt.

Le lendemain, tout le monde dans son village était au courant.

« Mais je vous assure ! cria Lao à ses amis. J'ai vu une fille et elle a disparu ! »

Les fermiers ricanèrent.

« Eh bien si t'es si malin, le Manu, vas-y toi-même !

— Quoi ?! Mais ça va pas, Lao !

— Ah, vous voyez, vous avez peur, c'est bien qu'y'a des sortilèges ou quelqu'un ! Si vous étiez sûrs qu'y'a rien, pourquoi vous auriez refusé ? »

Lao comprit qu'il venait de gagner un point.

« Et toi, pourquoi t'y vas ? T'es un sorcier aussi, p'têt' ben ! »

La réflexion piqua Lao au vif.

« Vous verrez ! leur cracha-t-il. Un jour, vous verrez qui avait raison ! »

Et il repartit chez lui, furieux. Qu'est-ce qui avait bien pu se passer cette nuit-là ? Il n'avait aucune envie de le savoir... Et en même temps il avait envie de revoir la fille. Sorcière ou pas. Il pria, se confessa, mais l'envie ne s'en allait pas. Lao passa le reste de la journée à se sentir mal à l'aise et repenser à l'inconnue. Et si c'était simplement une musicienne perdue dans la nature ? Et s'il l'avait laissée se faire tuer ? Tout au jour de la journée, la sensation qu'il devait faire quelque chose continuait. Il ne pouvait pas continuer à ignorer tout ça. Il FALLAIT qu'il y retourne.


*


Volynia observait la scène depuis le cristal de sa chambre. Tout allait à merveille. Elle se frotta les mains. Bientôt, le Petit Peuple saurait la vérité. Mais il était un détail qu'elle avait caché aux autres...

Un détail qui pouvait s'avérer intéressant.

Très intéressant, même.

Elle ricana et claqua des doigts. Son image se brouilla, et elle disparut de la pièce...

Annie du Chassezac_La Première MagieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant