Chapitre 9

1 0 0
                                    

Brocéliande, 400 ans plus tôt


Lao attendait patiemment. Impatiemment.

Il ne désirait qu'une seule chose : revoir la femme. Ça faisait quinze nuits qu'il venait la voir. Elle apprenait le breton et le français à une vitesse incroyable, connaissait déjà toutes les coutumes du pays, et une bonne dizaine de légendes. Pendant des heures ils se parlaient ensemble. Et puis, elle sentait quelque chose venir, elle l'embrassait et disparaissait.

Enfin, elle apparut. Le cœur de Lao eut un sursaut agréable. Elle n'avait pas amené sa harpe, ni sa lyre. Elle était simplement venue pour le voir. Lui.

« Lao...

— Ma belle... »

Elle s'enlaça autour de son cou.

« Je ne peux pas rester longtemps cette nuit. Je crois qu'Il se doute de quelque chose... Il m'autorise de moins en moins à sortir sans surveillance, Il m'enferme toujours dans cette chambre...

— Qui ça, Il ?

— Lao, fais quelque chose ! Tu... »

Mais déjà elle devenait translucide.

« Sauve-moi, Lao ! N'importe comment, fais quelque chose ! »

Enfin son image disparut complètement. Et Lao se retrouva à nouveau seul.

Fais quelque chose...

Il sentait encore l'étreinte qu'elle lui avait offerte avant de partir. Contre qui devait-il lutter ? Pourquoi avait-il fallu qu'elle disparaisse encore ? Qui était-Il ?

Et si au fond cette entrevue n'avait été qu'un cauchemar ? Après quinze nuits presque blanches, ses traits s'étaient creusés. Des fois il s'endormait en plein milieu de son travail. Et voilà qu'on se mettait à lui parler d'un fou qui se mettait à séquestrer celle qu'il aimait...

Il sentit alors une présence dans son dos. Faisant volte-face, le cornemusier s'aperçut que deux personnes le suivaient. Maus curieusement squelettiques, curieusement décharnées...

Curieusement inhumaines.

Et puis d'un coup le nom de ces créatures lui revint : croque-mitaines.

Lao hurla et se mit à courir le plus vite possible, mais les monstres étaient en train de le rattraper. Ils étaient en train de se jeter sur lui... quand il dérapa et dégringola dans une ravine.

Rien de cassé. Cette chute était même providentielle : les croquemitaines avaient continué tout droit en courant. Des monstres stupides, aux sens limités, se souvint Lao. Il se releva comme il put et regagna le village clopin-clopant, à bout de forces et plein de questions. Désormais il le savait : Brocéliande était bien magique. Et dangereuse.


*


« Des croquemitaines à présent ! »

Tous les yeux étaient rivés sur le bassin. Les gouttes d'eau de la surface avaient chacune pris la forme en trois dimensions et la couleur d'un arbre. Tout représentait en temps réel un secteur de bien précis de la forêt. Une réplique de Lao courait, poursuivie par les parfaites reproductions nautiques des croque-mitaines.

« Il se passe quelque chose dans notre dos, dit la Reine,et je n'aime pas ça. Laissez-moi l'aider.

— D'accord, dit un korrigan, mais mieux vaut qu'il ne s'en rende pas compte. »

La Reine leva légèrement le bras. Lao dégringola dans la ravine qui se trouvait près du chemin sur lequel il courait. Les croquemitaines continuèrent tout droit sans même s'ne apercevoir.

La plupart des personnes présentes poussèrent un soupir de soulagement, mais l'atmosphère s'était alourdie. On avait essayé d'éliminer leur pion. Ce on pouvait aussi vouloir éliminer des joueurs. Fadaranna conclut par :

« Bon, je pense que nous en savons assez pour ce soir. Rentrez chez vous.

— Dommage..., » marmonna l'Ankou.

Puis, peu à peu, la salle se vida. Lorsque Volynia sortit à son tour, elle se dirigea vers l'elfe Tarven et l'entraîna à l'écart.

« Combien ?

— Quoi ?

— Combien de vœux en échange de la vérité ?

— Je ne vois pas de quoi tu veux parler.

— Tu le vois parfaitement ! Je t'ai espionné, tu t'occupes de cette jeune femme en cachette, tu la drogues, les seuls moments où tu lui laisse un peu de liberté, c'est la nuit. Je t'ai entendu ordonner mentalement à cette femme de quitter immédiatement la clairière, et aux croquemitaines de t'occuper de Lao. Les fées ont l'ont découverte et essayent de savoir d'où elle vient et ce qu'elle fait, alors tu dois faire double jeu. Qu'est-ce que tu nous fous ?

— Tu tiens vraiment à le savoir ?

— J'ai une tête à prendre ça à la légère ? »

Tarven poussa un soupir et dit :

« D'accord. Je ne désire qu'un souhait : avoir une mort qui soit digne de moi. Je peux obtenir tout le reste par moi-même, mais c'est le seul de tes sorts que je n'aie pas.

— Qu'il en soit ainsi. »

Et Volynia vit la mort de Tarven, 400 ans plus tard. Une mort digne de lui, effectivement...

« C'est fait. J'ai dû un peu forcer le destin, mais ça m'a l'air comme il faut.

— Alors je vais donc tout te raconter.

— Dans le menu détail, dit Volynia. Et ne t'amuse pas à sauter des parties.

— Voilà... »


*


Personne ne sut jamais ce qui se passa cette nuit-là. Le lendemain, on retrouva le corps inerte de Volynia, étendu en croix par terre, les yeux vitreux et fixes pour l'éternité. Myriddin déclara qu'elle était morte de manière extrêmement rapide et douloureuse. On chercha un coupable, mais aucune créature, spirituelle, magique ou autre ne put révéler ce qui s'était passé. Puis au fil du temps chacun s'y désintéressa. Après tout, les assassinats étaient monnaie courante chez les fées...

Mais deux personnes devaient s'intéresser encore longtemps à ce crime. La Reine et Noisette.

La Reine parce qu'elle ne connaissait pas le coupable et qu'on ne cachait rien à la Reine.

Noisette parce qu'elle le connaissait trop bien.

Annie du Chassezac_La Première MagieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant