Monde de Silvaphile, 7h45
« Debout ! s'écria Ayah-Uhn. C'est aujourd'hui que les difficultés commencent ! »
Les Nowakan plièrent le camp. Frank laissa Taròn plaisanter avec la jeune femme, se demandant quelles épreuves les attendaient. Il se tourna vers un des compagnons de celle-ci :
Frank lui tourna les talons. Toutes ces histoires le préoccupaient de plus en plus. Est-ce qu'il pourrait au moins revoir Annie ? Et qu'est-ce qui se passerait alors ?
Ils marchèrent environ une heure sans que rien ne se produise d'anormal. Ce fut alors qu'un énorme serpent surgit des broussailles et se jeta à plat ventre sur eux. Un Nowakan poussa un cri. Le triskèle de Frank se mit à briller lorsqu'il prononça un sortilège, et la bête s'écroula.
Deux autres arrivaient. Les Nowakans les eurent avec leurs flèches. Mais bientôt ils furent assaillis. Ayah-Uhn hurla quelque chose ; ses cheveux se dressèrent, elle devint blanche étincelante, et les serpents tombèrent raides morts.
Taròn et Frank voulurent dire quelque chose, mais l'effet de surprise les laissa sans voix.
« Allez ! cria la femme. Du large ! On n'a rien à faire ici, dépêchez-vous ! »
À la suite de cela, tout le monde redoubla la marche d'un pas plus rapide, s'attendant désormais à ce qu'un danger surgisse de n'importe où. La peur grondait, par moments, et la moindre plante paraissait maintenant suspecte. Et puis Frank ressentit d'étranges vibrations et baissa les yeux : le sol semblait se distordre sous eux.
« Le sol ! hurla-t-il. Le sol est vivant ! »
Mais en fait le sol n'était pas vivant. C'était bien pire que ça.
En un clin d'œil, d'énormes tentacules jaillirent d'un tas de feuilles. Ils étaient vert sombre, couverts d'écailles de serpent, sans ventouses mais semblant assez musclés pour pouvoir terrasser un homme d'âge mûr rien qu'en le frappant. Ayah-Uhn tenta d'user de ses pouvoirs, mais une des choses l'assomma et elle s'écroula. Taròn courut vers elle. Briggle fit reculer un ou deux tentacules avec des sortilèges mineurs, mais le monstre était bien trop fort pour lui. Quant aux Nowakans, ils avaient bien compris que leurs flèches trop petites ne leur seraient d'aucun recours.
Frank décida d'agir.
Et partit dans la magie sonder l'esprit du monstre. Une créature pas seulement carnivore, mais carnivore et qui aimait tuer. Un être de sorcellerie, une créature du Mal. Il voulut apaiser son esprit, mais celui-ci le repoussa violemment. Il lança un second assaut, un autre, un autre et encore un autre...
Et d'un coup, le calme total.
Un calme absolu, étrange, comme si...
*
« Frank ! »
Taròn se précipita vers le corps de son ami (oui, car à présent, ils pouvaient se considérer comme ami, après tout) portant celui d'Ayah-Uhn sur une épaule. La bête s'était écroulée en même temps que Frank. Elle devait être morte. Et lui ?
Son cœur battait encore. Les Nowakan portèrent son corps et ils s'enfuirent de la zone en courant le plus vite possible. La marche continua, avec un silence devenu lourd et pesant. Et deux blessés graves.
Heureusement, Ayah-Uhn reprit assez vite ses esprits et put examiner Frank. « Il est juste épuisé, conclut-elle. Une partie de lui est restée dans l'esprit du monstre. Je pense qu'il s'en sortira sans une partie de ses souvenirs de l'attaque. Il va falloir fortifier ce qui lui reste en le consolidant avec le notre... »
Des Nowakans touchèrent la tête de Frank. Le bout de leurs doigts devinrent lumineux, presque immatériels. Frank poussa un son. Ses doigts bougèrent légèrement.
« Il lui faut encore du repos, dit l'un d'eux, beaucoup de repos.
— Et nous n'en avons pas le temps, s'écria Briggle.
— Non, en effet. Une fois qu'il sera réveillé, il faudra qu'il réapprenne vite à suivre la cadence. Il n'y a pas d'autre choix possible à moins de l'abandonner. »
Un peu plus tard, ils étaient à nouveau en route, portant Frank qui dormait profondément, une écharpe à sommeil à son cou.
« Son esprit est fort, dit Ayah-Uhn. Son triskèle le rend très résistant.
— Je l'espère, dit Taròn. Bon sang, je l'espère. »
Et curieusement, il eut l'impression de se libérer d'une carapace de stoïcisme qui l'encombrait depuis bien trop longtemps.
*
Ils firent une civière pour transporter Frank. Durant la journée suivante, de nombreuses catastrophes durent être évitées : précipices jusqu'alors invisibles, animaux inconnus et furtifs, esprits embrouilleurs de sens...
Enfin, ils arrivèrent au bord d'un lac recouvert par la brume. Les nuages dansaient en formes folles et fantasmagoriques dessus. Un chant enchanteur leur parvint alors : une voix claire, enjôleuse, portée par le vent. Des brumes s'écartèrent et Taròn aperçut une créature.
Les Nowakans s'arrêtèrent. Taròn s'avança, méfiant. Elle était pour l'instant visiblement humanoïde, mais on ne pouvait être sûr de rien concernant sa dangerosité. Lance en main, il s'approcha jusqu'à ce qu'il put voir son visage...
... qui était celui d'Ayah-Uhn.
Mais ce n'était pas Ayah-Uhn. Elle avait des yeux d'un bleu glacé, braqués dans ceux de Taròn. C'était elle qui venait de chanter. La mélopée reprit, se mêlant cette fois à différents échos étranges. La chose portait des parures magnifiques. Des arabesques changeant de couleur chaque seconde, dansaient sur ses cuises et sa poitrine nues. Taròn écarquilla les yeux : l'apparition disparut.
Et réapparut derrière lui.
Il se rendit compte qu'il avait à présent les pieds dans le lac. Qui ne lui obéissaient plus, mais continuaient d'avancer tous seuls. Elle l'enlaçait comme un serpent, avec une tendresse féline et infinie.
« Viens dans ma couche, beau Thuatta, dit-elle avec un accent qui ne ressemblait pas à celui de la vraie Ayah-Uhn. Tu profiteras... »
La chose le serrait de plus en plus fort.
« ... millions de plaisirs différents... »
L'eau lui arrivait jusqu'aux épaules.
« ... qu'aucun autre corps ne saurait offrir... »
Ayah-Uhn le serrait de plus en plus fort...
« Non, Taròn, cria Briggle, il ne faut paaaas ! »
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Annie du Chassezac_La Première Magie
FantasyLA DERNIÈRE AVENTURE D'ANNIE. Taraudée par sa malédiction, mais aussi la disparition successive de nombre de ses proches, elle tente de fuir son destin dont l'idée seule la torture. L'Annie innocente, quoique encore un peu moqueuse, n'est plus là de...