Je regarde avec instance l'homme en face de moi. Il fouille dans ses documents, se lèche les doigts en tournant les pages de son dossier. L'horloge affiche dix-sept heures et quart. Déjà une heure que je suis assis sur cette chaise dans ce bureau et pourtant, j'ai l'impression que ça fait une éternité. Face à son inattention pour moi, je me racle la gorge fort pour le ramener à la réalité. Visiblement ça semble fonctionner vu qu'il lève sa tête et me regarde. Il beugue en m'observant, il a l'air d'avoir oublié la raison de ma venue.
- Quand est-ce que je saurais si je suis pris ? demandais-je.
- Ah ! Vous serez contacter dans les semaines à venir.
Après un sourire forcé de ma part et une vive poignée de main, je quitte l'entretien d'embauche. Plus je m'en éloignai et mieux je me sentais. C'est fou comme certaines personnes ont pas la même notion d'hygiène. Comment il peut avoir les mains aussi moites ? C'est ouf quand même. Dans son métier d'avocat, il doit sûrement serrer la main de plusieurs personnes, non ? J'aurai aimé postuler ailleurs mais pour l'instant, je suis prêt à accepter ce qu'on pourrait me proposer. J'ai beau déjà travaillé au grec de la cité, je gagne trop peu. Chez moi, ça va plus. Les appels et menaces des huissiers se font de plus en plus fréquent. Alors, malgré les deux travails de ma mère et le maigre salaire de mon père combiné au mien, on a toujours pas assez pour pouvoir vivre sereinement. Les dettes sont trop nombreuses.
Après avoir pris le bus, j'arrive à la cité. J'ai mon permis mais j'ai pas de voiture. Quelle utilité vous me direz ? Les hautes tours m'accueillent au premier pied posé en dehors du bus. Aujourd'hui plus particulièrement c'est animé. Une animation assez particulière qui n'est autre qu'une descente. Au loin, des connaissances se font contrôlés. Je marche en vitesse pour les rejoindre quand j'entends des chuchotements qui me tirent de mes pensées. Emre était caché derrière les contenaires de ma tour. Je le regarde et souris :
- Tu joues à cache cache ?
- Ahahah je suis mort là. Nan sah, faut que tu me rendes un service.
- Quel genre de service ?
- On monte chez toi.
J'ai senti sa détresse et sa peur de se faire prendre à mille kilomètres donc j'ai accepté. Dans ma chambre, il tournait sur la chaise de mon bureau. Deux sachets de poudre blanche tombe de la poche de sa doudoune. Rapidement, je le vois les ramasser et les ranger. Il me montre toutes ses dents et finit par éclater de rire. Ce genre de situation l'a toujours fait rire. Il était à deux doigts de se faire embarquer, et il trouve le moyen de rire aux éclats. J'ai préféré ne pas en rajouter. Emre est un grand garçon et malgré son air détaché, il est parfaitement conscient de ses faits et gestes. Et surtout, je suis pas assistant social, il fait ce qu'il veut.
Notre discussion changea et on s'est mit à parler de tout et de rien. On attendait que les poulets s'en aillent pour que chacun puissent retourner à sa vie respective.
[...]
Ça fait déjà des heures qu'ils sont plus là, on a pas vu le temps passait. Vingt heures s'afficha lorsque mon téléphone s'alluma à la réception d'un message.
- Waaah déjà vingt heures ! Faut que je rentre, ma darone va s'inquiéter. Cimer gros, tu m'as évité la gav.
- Normal, c'est la miff.
- Ouais. Et en fait, si t'es pas pris là où t'as postulé tu m'appelles hein ? Il reste toujours le bizz'. C'est pas aussi hram qu'on le dit, t'sais.
Son sourire victorieux sur son visage a le don de me désespérer. Il me vend son « métier » comme s'il s'agissait d'une paire de basket. Et pourtant, il sait très ce que j'en pense. Je veux pas être de ceux qui -pour s'en sortir- ont du commettre les plus grandes atrocités. Il y a une semaine encore, on a retrouvé un p'tit de la tess voisine dans nos caves. Rayan, je crois qu'il s'appelait. Il devait avoir l'âge de Nazim, ou même moins. Et il est mort. La vie est vraiment éphémère. J'ai pas envie de commencer à jouer avec le feu et me lancer dans un jeu que je pourrai perdre. Le maître de ce jeu c'est le Sheytan. Eux, ce sont que des pions. J'ai beau avoir arrêté l'école à 16 piges et ne pas être capable de tenir une conversation avec des gens instruit, je suis pas con. Je risquerai pas ma vie. J'ai pas la même mentalité que la plupart des habitants de cette tess, et ils le savent tous. Entre nous, on est tous des galériens, mais on choisit pas tous la même manière de galérer. Eux, c'est le bizz' qu'ils ont choisi. Le fait que j'ai décidé de pas en faire parti, ça les énerve. Peut-être qu'ils s'en rendent compte, peut-être pas. Mais à la cité, on a cette manie de ne pas vouloir voir les autres réussir. Si tu réussis, on te jalouse. Ils peuvent pas s'empêcher de vouloir traîner les gens bien vers le bas. Ça s'appelle la loi de la rue. Cette loi de vouloir inculquer ses valeurs aux autres même si ce sont de mauvaises valeurs. Ou alors, c'est seulement la loi de la vie, des êtres humains.
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FEHMI - L'Amour ça tue, la Haine ça maintient en vie
Ficción GeneralL'Amour a souvent été évoqué dans son quotidien sans qu'il ne sache jamais de quoi il s'agit. Est-ce que c'est vraiment "le soleil de la jeunesse, et le rêve des nobles âmes" ou bien c'est "goûter à travers une personne le charme du monde entier"...