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Dahanna était encore plus surprise que sa cousine visiblement sous le choc. Elle écoutait le récit de celle-ci qui lui avait demandé de venir chez elle ce matin dans le but de lui conter sa soirée particulièrement choquante, elle était encore trop fragile pour sortir et avait une de ces migraines tant elle se remémorait les événements survenus subitement la veille, sans qu'elle ne s'y attendait.

_ J'en reviens pas, j'ai jamais été aussi surprise de toute ma vie. Son frère tu dis! Carl serait le frère d'Arthur Domergue, le Arthur Domergue. Jésus Marie Joseph! Qu'as-tu fait? Tu n'as pas perdu connaissance? Certaine que j'aurais fait semblant de m'évanouir si cela n'avait pas été réellement le cas. Moi Dahanna, faire face à pareille situation, jamais, je serais devenue folle sur le coup tandis que toi tu as eu le courage de rester diner avec les deux. T'es brave.
_ Il a eu le culot de me balancer devant Arthur. Je suis restée planter devant eux sans pouvoir rien dire jusqu'à ce qu'Arthur me chasse lui-même. La honte! Il y avait la servante, cette sale servante qui ira sans doute prononcer mon nom avec sa vulgaire langue. Si tu pouvais voir le regard noir qu'il m'avait lancé juste avant de sortir de la salle à manger, j'ai tenté en vain de le retenir, mais il n'a rien voulu entendre de moi, rien.

Eddie se lamentait et était dans une rage folle d'avoir ainsi été larguée. Elle n'était pas touchée d'avoir perdu Arthur, encore moins Carl, elle savait que tôt ou tard cela arriverait parce que leur liaison était un parfait moment de plaisir selon elle; plutôt, elle était vexée de n'avoir pas pu faire grand chose à ce propos et sa cousine le comprit. Dahanna était restée avec elle toute la journée, car une telle histoire ne pouvait se raconter en une seule petite heure lorsque les commentaires et suggestions ne manquaient pas.

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* *
_ Je vous les apporte tout de suite monsieur.

Tania avait rapidement tourné les talons pour aller chercher les documents manquants. Rien qu'eux, ensuite elle pourrait prendre congé d'Arthur, de son bureau et de toute l'entreprise durant deux semaines attendues si longtemps afin de se rendre à Jacmel en compagnie de sa tante qui y retournait. Déjà que monsieur Henry ne tarderait pas à rentrer chez lui d'après ce que lui avait dit sa femme qui en profiterait pour récupérer ses enfants.

Arthur avait attendu que Tania quitta le bureau pour poursuivre avec sa conversation entamée depuis un bon bout de temps avec Carl qu'y était présent. Ils ne pouvaient s'empêcher de parler de la veille et on pouvait comprendre qu'eux non plus ne regrettaient la présence d'Eddie dans leur vie. Cependant, ils ne pouvaient nier le fait qu'ils étaient bel et bien surpris de savoir qu'ils couchaient tous les deux avec la même femme sans rien suspecter. Ils avaient fini par voir que la cause n'était autre que le silence sur leur vie intime, mais ils n'avaient envisagé en rien d'y changer quoique ce soit.

_ Je te l'avais dit, je ne la sentais pas. Comment aurais-je pu épouser pareille espèce? Manipulatrice et sans aucun gêne.

Arthur passa une main rageuse dans ses cheveux et se leva pour donner dos à son frère qui put lire toute son angoisse dans sa réaction. Il respira un grand coup et regarda la ville bouger sous le soleil à travers la vitre de sa fenêtre; la circulation en bas, pas très fluide devait donner la migraine avec toute cette chaleur en plus, mais c'est ainsi Haïti, il n'y aura jamais suffisamment de routes pour toutes ces voitures tant que les choses prioritaires ne deviendront pas des priorités pour l'État haïtien. Un petit pays de problèmes et pourtant il aurait été bien égoïste de se croire mieux que lui.

_ Ne te mets pas dans un tel état, tu te fais du mal pour rien cher frère. Tu ne sauras faire de choix rationnel si tu t'obstines à te torturer de la sorte.
_ C'est bien là le problème, ajouta Arthur sans se retourner. La raison ne m'aide pas vraiment dans ce cas-là.
_ Tu veux parler de Tania?
_ D'elle-même.
_ Si tu l'aimes, épouse-la. Où il est le problème cette fois-ci? Je te le dis tout de suite, tu n'as rien à craindre, je n'ai jamais couché avec elle.
_ Elle est une simple secrétaire, ma secrétaire. Que penses-tu que l'on dira à mon sujet? Il s'agit du genre de ragots le plus courant, cette affaire de directeur et de secrétaire. Comment pourrais-je la prendre pour femme alors que toute sa vie elle n'a connu que ce poste et ce statut qui ne contribueront à rien d'autre que des stupides scoops. Un Domergue reste un Domergue et il se doit d'éviter toutes formes de publicités pouvant nuire.
_ Excusez-moi, dit Tania dont la voix leur fit sursauter. Voilà ce que vous m'aviez demandé monsieur.

Ils ne l'avaient pas entendu rentrer, mais ils purent comprendre à l'expression de son visage, qu'elle avait écouté leur conversation. En effet, ce n'était pas tous les jours que l'on pouvait apprendre derrière une porte que son patron allait se marier, ou encore que l'on n'était pas suffisamment bien pour devenir l'épouse d'un homme avec qui l'on s'était offerte, parce qu'on ne pouvait qu'être sa porteuse de gigne selon toutes ses analyses.

_ Merci, réussit à prononcer Arthur qui se mordait la langue d'avoir parlé trop fort.
_ Autre chose? demanda Tania visiblement blessée, mais qui voulait faire usage de politesse.
_ Non merci.
_ Bien. Je vous souhaite une excellente journée.

Elle tourna les talons sans broncher, mais une fois devant la porte, Arthur la rappela. Elle s'était retournée, toutefois, elle n'eut droit qu'à un simple "passez de bonnes vacances" parce que son patron trop troublé n'avait rien trouvé de mieux à dire.

*
* *

Néanmoins, Tania avait trouvé de la compagnie en la petite Prisca qui ne voulait pas aller se coucher et avait préféré rester avec elle pour raconter ses histoires que Tania n'écoutait pas vraiment, mais elles l'empêchaient de penser à la conversation surprise entre Arthur et Carl. Assise au pied du lit tandis que Tania prenait appui avec son dos, contre une montagne d'oreiller faite par elle, Prisca changeait sans arrêt de conversation.

_ J'ai hâte de voir papa, confia Prisca à Tania.
_ Il te manque?
_ Énormément. Je sais qu'il manque à Steeve et à maman aussi. Il est où ton mari?
_ Je ne suis pas mariée, répondit Tania qui faisait de la place pour qu'elle se couche près d'elle parce qu'elle ne voulait plus rester assise.
_ Ah non?
_ Non.
_ Ben moi, je veux être comme toi quand je serai grande.

Tania en fut agréablement touchée par ce qu'elle venait de dire et choisit de se coucher elle aussi afin d'être assez confortable avant de poursuivre leur conversation.

_ Comment je suis?
_ Tu es belle, gentille et presqu'aussi forte que la marraine de cendrillon.
_ Normal qu'elle soit plus forte que moi, je n'ai pas de baguette magique.
_ Non, mais toi tu me laisses casser le pot que tu as acheté hier sans me gronder.
_ Attends un instant, tu as cassé mon pot?
_ C'est pas moi, c'est le robot de Steeve.
_ Que tu as lancé à sa poursuite, j'imagine.

Prisca s'était vite cachée sous les draps. Mais, Tania était encore plus surprise de la manière entreprise par cette petite maligne pour le lui apprendre; elle était mille fois plus mignonne lorsqu'elle essayait de se défendre. Tania en rit et lui donna une punition à laquelle elle ne s'attendait pas: sous ses draps, Tania se mit à la chatouiller et la fit tordre de rire. Aucune autre punition ne pouvait se donner, sinon la prendre dans ses bras et la couvrir de bisous parce que mieux que quiconque, cette petite avait mis de la couleur dans sa soirée en la faisant oublier les terribles mots d'Arthur qui quelques heures plus tôt, lui avaient percé le coeur.

Fallait le direOù les histoires vivent. Découvrez maintenant