Allongée dans le lit d'une chambre de motel miteuse, j'entends les voitures qui filent à toute vitesse sur la route adjacente.
J'ai eu beaucoup de mal à quitter Chris ce soir. D'abord les gardiens ont du passer par trois fois pour prévenir que c'était l'heure de la promenade, puis celle de la douche et enfin les dîners furent servis. C'est à ce moment que j'ai été obligée de partir.
Avec Chris j'ai pu discuter de ce qu'est sa notion du bien et de ce que je considère comme être celle du mal. Cette enquête ressemble plus à un débat philosophique.
Toujours avec sincérité, Il ne se donnait pas la peine d'un regret complaisant pour les victimes. C'est l'indifférence qui le domine. Il n'avait rien contre elles et puisqu'il a déjà été arrêté, il ne comprend pas pourquoi il devrait éprouver de la culpabilité. Après tout il est en prison pour payer ses crimes, alors pourquoi s'infliger une double peine ?
J'étais tellement subjuguée qu'on a fini assis l'un à côté de l'autre à chuchoter tout bas pour ne pas qu'on nous entende.
C'est bien avec l'Etrangleur que j'ai discuté toute la journée. Son discours est le même que celui d'autres tueurs en série que j'ai rencontré.
Comme Jekyll et Mr Hyde, Chris et l'Etrangleur sont deux personnes bien distinctes. Le docteur Jekyll protégeait Hyde de la même façon que l'Etrangleur a pris le dessus sur Chris.
Ce clivage psychique, typique des tueurs en série et qui pourrait se traduire par : "je sais que je l'ai fait mais ce n'est pas moi."
Comme si les souvenirs de l'Etrangleur étaient dans la tête de Chris.
Il n'est même pas encore sept heures quand je me rends au rez-de-chaussée du vieux Motel pour prendre mon petit déjeuner.
En voyant ce qui traîne sur le buffet je décide de me contenter d'un café. Matt m'a appelée plusieurs fois mais je n'avais pas envie de lui mentir en lui disant que j'étais chez moi. Je prendrai le temps d'imaginer une excuse sur le chemin du retour.
Le pénitencier se trouve à moins de 10 minutes et grâce à ma nouvelle accréditation je suis maintenant libre d'entrer.
Comme d'habitude on prend le temps de menotter Chris avant que je ne puisse le rejoindre.
Il me sourit et va sagement s'asseoir sur son lit. Je fais de même sur une chaise. Il adore que l'on parle de lui et que je lui donne de l'attention. Il aime aussi croire que je dépends quasi entièrement de lui.
Dans le cadre de mon travail il est fondamental de comprendre que l'important n'est pas de se faire ou non manipuler mais d'en prendre conscience quand c'est le cas. Je ne crois pas que Chris soit attiré par moi mais il a besoin de l'inverse. Pour se faire, il n'a de cesse de me provoquer sexuellement.
"Est-ce que vous avez des plaisirs dans la vie ?
- Comme quoi ?"
Sa réponse nous fait rire car elle est très éloquente.
"Traîner devant les vitrines de magasins. Se faire faire une manucure ou ...
- Mentir" il me reproche à demi-mots.
Face à lui je dois me départir de trop de distance sinon il se fermera. Il faut que je devienne à ses yeux la femme qui pourrait lui plaire pour pénétrer les mailles de son psychisme. Le jeu est risqué car je dois toujours garder en mémoire qu'un vrai fiancé m'attend à la maison.
"Vous voyez ce que je veux dire..."
Et voilà que j'essaie déjà de me faire pardonner un mensonge. Très difficile de jouer avec Chris parce qu'il est presque aussi doué que moi. Bien meilleur que tous les profilers que je connais.
"Il y a quelque chose que j'adorais faire...
- S'il vous plaît ne me dites pas vous coucher contre l'aisselle de vos victimes."
Ma réponse semble le choquer et pourtant c'est la première chose qui me soit venu à l'esprit. Il secoue la tête et son visage devient triste tout à coup :
"Au petit matin j'adorais boire un café sur la terrasse de mon appartement. Il n'était même pas six heures, aucune voiture ne circulait encore. C'était calme."
Sous-entendu c'était le moment où il se sentait le plus apaisé. On s'imagine que les tueurs en série sont des monstres. Mais ce qui les pousse à tuer ce n'est pas la cruauté, c'est cette impression de néant qui s'ouvre sous leurs pieds. Quand certains vont boire pour oublier, d'autres vont se défoncer. Moi je me laisse aller à mes bas instincts et Chris lui partait en chasse.
Il me peint le portrait d'une aube qui se lève chaque matin et qui le rassure. Je perçois l'immense souffrance qu'il ressent maintenant qu'il est enfermé.
"Quoi d'autre ?"
Je demande pour changer de sujet. Il paraît alors très gêné car il n'y avait jamais pensé. Au fond il n'y a aucun petit plaisir de la vie qui puisse lui manquer. Elle n'a jamais été belle, elle n'a jamais été rose. Pourtant je vois qu'il fait l'effort de chercher. Après quelques minutes il finit par secouer la tête.
"Et vous ?"
J'ouvre la bouche mais rien ne sort. Oui il y a bien... ou peut être ... mais absolument rien ne me revient en mémoire. Je pense à mes journée de repos, aux vacances : qu'est-ce que j'aime faire de mon temps libre ?
Chris éclate d'un rire franc et en vient même à s'adosser au mur.
"Vous voyez c'est pour ça que vous venez."
Il lève ses deux bras qui sont menottés aux poignets et me pointe d'un de ses index.
"Il n'y a qu'avec nous que vous avez la sensation d'être moins seule. Vous savez exactement ce que les autres femmes répondraient mais vous ne savez pas quoi dire sur vous."
Alors que je dois lui sembler mortifiée il se reprend :
"Ça va Anna. Ce n'est pas dramatique."
Seulement il vient de mettre en lumière ce que je refuse d'admettre : le vide sidéral de ma vie. Ni joie ni peine. Ni douleur ni bonheur.
Chris se lève et je reste stoïquement assise sur ma chaise. Il s'accroupit devant moi et j'ai à peine besoin de baisser la tête pour admirer son visage.
Mon cœur s'emballe quand ses mains viennent prendre les miennes sur mes genoux.
"Vous acceptez de me voir uniquement parce que vous pensez que je suis comme vous ?, je demande.
- Non."
Sa voix est soudainement si douce. Il est prévenant et gentil.
"C'est vous qui venez pour découvrir qui vous êtes."
Et ça m'énerve d'admettre qu'il a raison.
Il serre mes doigts entre les siens et j'ai un violent frisson. C'est beaucoup trop étrange, je devrais me lever et m'éloigner pour ne plus jamais revenir. Pourtant je reste assise à savourer la caresse de ses doigts sur la paume de ma main.
"Pourquoi alors est-ce que vous me faites confiance ?, je demande.
- Il faut bien que quelqu'un croit en vous."
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Death Battle (sous contrat d'édition HQN)
RomanceMa vie c'est d'étudier ceux qui donnent la mort. Experte mondiale reconnue des tueurs en série, j'épaule le FBI, Interpol mais aussi les victimes et les criminels eux mêmes. Ni profiler, ni psychiatre, mon don me permet de me connecter aux esprits l...