Chapitre 15

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L'essence même du phénomène criminel est psychodynamique : c'est un processus qui chemine et se répète. Ainsi je me suis toujours senti en sécurité entre les murs d'une prison. Ici les tueurs et tueuses sont privés de la dynamique nécessaire à leurs crimes. Ils ne peuvent pas me faire de mal.

Mais Chris pourrait faire bien pire que de me tuer.

Lorsque Thomas Harris a écrit la tétralogie du Silence des Agneaux, il s'est vu obligé de refuser toutes les interviews des journalistes qui étaient incapables de différencier la fiction de la réalité. L'empathie pour ce anti-héros qu'est Hannibal Lecter était si forte que les fans sont encore aujourd'hui trop nombreux. Hannibal est devenu le fantasme inavoué des femmes et de certains hommes.

Pire encore, la sympathie que dégageait le personnage de la série Dexter. Le tueur en série des tueurs en série n'était pas si monstrueux puisqu'il avait une éthique bien à lui. Il plaisait, lui aussi aux femmes.

J'attends patiemment l'arrivée de Chris, dans la même salle où j'ai pu rencontrer Field.

On a démocratisé le tueur en série à la télévision en le rendant humain. La population veut toujours voir l'homme derrière le tueur, comme le jeune Norman Bates dans la série éponyme Bates Motel. On essaie presque d'excuser les actes de ces personnages en rapprochant leur quotidien du nôtre afin que nous puissions nous identifier.

Après plus de dix minutes à l'attendre, Ford entre et je n'ai pas la force de me lever. Mes jambes sont lourdes et se cognent l'une contre l'autre. J'ai des noeuds dans le ventre et avale très difficilement ma salive.

Habituellement je suis stressée, légèrement angoissée, aujourd'hui je suis quasiment hystérique. Je garde mes mains cachées et posées sur mes cuisses.

Chris a les poignets menottés et joints à sa ceinture. On le fait avancer jusqu'à moi et les menottes se fixent à la table.

J'ai l'impression qu'à son contact j'en apprendrai autant sur lui que sur moi. Je commence par travailler sur son mode opératoire :

"Vous êtes accusé d'avoir tué de nombreuses femmes, vous le réalisez ?

- Oui.

- Est-ce que vous les avez toutes séduites avant de les tuer ?

- Non. Je n'en ai pas eu besoin."

Ça sonne comme du narcissisme mais ce n'est qu'une pure vérité. Je lui adresse un sourire entendu et continue :

"Vous avez grandi dans un foyer sain, vous n'avez jamais été maltraité physiquement ou psychologiquement. Comment expliqueriez-vous votre comportement ?

- J'ai grandi entouré de deux parents chrétiens et de mon grand père comme vous le savez. Nous allions à l'église et à la maison il n'y avait ni alcool ni tabac.

- Alors qu'est-ce qui s'est passé dans votre esprit pour basculer dans la destruction ?, j'essaie de reformuler."

Il cherche et je le crois honnête dans sa réflexion. Seulement encore une fois ses barrières l'empêchent de trouver la réponse.

"Qu'est ce que vous ressentiez à ce moment-là ? Une intense colère ?

- Entre autre. C'est plutôt comme une sorte de transe. Parfois un horrible cauchemar et parfois une libération."

L'homme qui commet son premier meurtre ne sait pas qu'il va devenir un tueur en série. Chris ne montre aucun signe d'inquiétude ou de nervosité.

"Qu'est-ce qu'elle avait de si spéciale?"

Je n'ai pas besoin de préciser ma question. Il sait très bien de quoi je parle. La première victime est probablement son seul souvenir.

Death Battle (sous contrat d'édition HQN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant