Chapitre 2

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J'aurais pu me contenter d'écrire des livres ou de rejoindre le FBI pour enquêter. Seulement j'ai un talent bien particulier. Un don... ou une malédiction.

Je suis même victime de cet engouement qui se manifeste autour des tueurs en série sous la forme d'un harcèlement de la part d'étudiants et de journalistes qui veulent à tout prix m'interroger. La médiatisation des affaires traitants de serial killers et la mode des films et séries télé entraînent une dérive des conscience qui m'effraie beaucoup. 

Je suis la seule qui sait combien la fiction est très loin d'égaler l'horreur et la démesure de tout ce que j'ai vu et entendu au cours de ces dernières années. J'ignore comment mon esprit peut demeurer si stable. Je pense que Matt y est pour beaucoup. Ces derniers mois il s'est posé comme un pilier important de ma vie. Je me repose souvent sur lui, je peux lui confier tout ce qui me passe en tête. Et je pense que ce soir, j'aurai bien des choses à lui raconter.

Je fais un pas dans la pièce et sourit à l'homme face à moi.

"Comment ça va ?" Il demande gaiement, manifestement très heureux de me voir et surtout comme s'il ignorait qu'il vivait là ses dernières heures. Je ne suis pas étonnée, pour les tueurs en série la peine de mort représente un ultime frisson. Privés de liberté, de la possibilité de tuer, ils en viennent tous à fantasmer leur propre mort.

Ce que la presse ignore c'est que Lukka a une certaine passion pour les travaux manuels. Ce ne sont pas des cadavres que la police a retrouvé mais seulement des restes.

Le serial killer avait l'habitude de plonger la chair de ses victimes dans une grande marmite qu'il appelle "chaudron" et ajoutait de la soude caustique pour fabriquer du savon. Il obtenait une sorte de bouillie sombre et visqueuse qu'il versait ensuite dans de petits moules.

J'avais déjà été très éprouvée par le récit de ses crimes lorsqu'avec mon aide, le FBI l'avait arrêté. Ne souhaitant discuter qu'avec moi, j'ai du apprendre bien vite ce qu'était le métier d'expert, de profiler ou de consultante. J'étais trop jeune et clairement immature pour faire face à un homme comme lui. Ses confessions m'ont glacé le sang et c'est ce qui l'excitait. Il voulait me terrifier par ses révélations. Et je crois qu'il a été mon premier vaccin contre les crises d'angoisse. 

Lukka se plaisait à faire les marchés pour vendre ses savons. Ses voisins ont rapportés qu'il leurs a également souvent offert des bougies. Mais malheureusement toutes se sont consumées et il ne restait rien à analyser. A la réflexion... il valait mieux pour ces familles qu'elles ne sachent pas de quoi la cire se composait.

Lukka n'est plus qu'un vieil homme frêle qui ne m'impressionne aucunement. Depuis des années maintenant je viens lui rendre visite. Il se montre si honnête avec moi que j'apprends beaucoup à son contact. 

Cette homme ressemble à votre voisin ou ce type que vous croisez au supermarché.

Ça me rappelle cette phrase du lady Killer, le célèbre Ted Bundy : "Nous, les tueurs en séries, nous sommes vos pères, vos fils. Nous sommes partout." Selon lui, c'est la pornographie qui est au centre de tous les délires des meurtriers en série qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes. Ça serait le point de départ de leur déshumanisation. Nombre de mes confrères sont d'accord avec cette théorie mais ce n'est pas mon avis.

Face à moi j'ai un homme souriant et gentil, totalement insensible à la mort violente qui l'attend. Ça semble même l'amuser :

"Comment tu me trouves ?" Il me demande en se passant la main sur son crâne entièrement mis à nu.

Je prends une chaise et m'assois en face de lui. J'évite de le regarder droit dans les yeux. Trop souvent les tueurs cherchent à me déstabiliser et je ne veux pas entrer dans son jeu. Non pas aujourd'hui. Je ne veux pas que grâce à moi, la mort lui soit plus douce. Il se lève brusquement espérant me faire sursauter mais je ne bouge pas. Depuis tout ce temps j'ai appris à le connaitre et il m'est presque devenu familier. J'ai eu plus de contacts avec lui qu'avec mon propre frère.

Death Battle (sous contrat d'édition HQN)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant