Les Gardiennes d'Aclosia

Epilogue

- Tu es prête ?

Anaca hocha doucement la tête à la question d'Elys. Près d'elle, Leya avala sa salive avec un peu de difficulté, sa main serrée sur son épaule.

Les trois jeunes filles étaient toutes trois réunies sur l'un des ponts reliant les deux falaises. Ces derniers avaient été terminés quelques jours auparavant. L'école n'était pas encore totalement achevée, mais sa construction était finie et elle serait bientôt prête à accueillir les élèves. Mais ce n'était pas pour cette raison qu'elles se tenaient là en ce jour.

En face d'elles, maintenant leur altitude par d'amples battements d'ailes réguliers, Arukan, Kleïark et Venlëth les observaient sans mot dire. Esyar également se trouvait là, Astien sur son dos, légèrement en retrait. Tous gardaient un silence pesant, parfaitement conscient de l'effort qu'il fallait à Anaca pour effectuer le geste qu'elle allait devoir faire.

Serrant une dernière fois le précieux contenant contre sa poitrine, la gardienne des couleurs prit une profonde inspiration. Elle dévissa le bouchon de l'urne, le confiant à Leya, et avançant d'un pas, la renversa au-dessus de l'immense fleuve qui coulait sous leurs pieds, des centaines de mètres plus bas.

Pendant quelques instants, une longue pluie de cendres s'échappa du contenant pour être aussitôt éparpillées par le vent, s'agitant joyeusement dans les airs. Dans une dernière pulsion, la gardienne lâcha le pot de terre cuite, imitée par sa compagne qui tenait encore le bouchon.

Ça y était. C'était fait. Elle avait respecté la dernière volonté de sa mère.

C'était Caroline, la mère de Leya, qui leur avait tout expliqué.

Cette dernière avait bien failli faire une attaque en les voyant toutes les deux débarquer, un beau matin, sur le pas de sa porte. Mais après quelques embrassades chaleureuses, elle s'était calmée et avait demandé à entendre toute l'histoire, pas le moins du monde étonnée d'entendre parler d'un autre monde et de dragons. Les filles avaient à cette occasion appris qu'elle avait toujours su la véritable identité de Nethalia, celle-ci lui ayant tout raconté au moment où elle et Lilya étaient venu pour lui confier Leya, encore bébé.

Elle leur avait alors expliqué qu'en découvrant l'appartement vide de leur présence et le cadavre de son amie, elle avait pris les dispositions nécessaires. Et c'était à cette occasion qu'elle leur avait remis l'urne funéraire de Nethalia, leur expliquant que cette dernière avait un jour formulé le vœu de pouvoir reposer sur sa terre d'origine, lorsqu'elle mourrait.

Les adieux avaient été tout aussi émotifs que les retrouvailles, même si les filles avaient promis à Caroline de revenir la voir aussi souvent qu'elles le pourraient. Elles étaient alors rentrées pour aider à terminer l'école. Anaca avait décrété vouloir attendre que les ponts et l'établissement soient achevés avant de répandre les cendres de sa mère.

"Comme ça, elle pourra être témoin de la paix que nous voulons instaurer", avait-elle dit.

Et c'était fait.

Sa mère pouvait être témoin. Des liens unissaient désormais les dragons aux autres peuples, les humains aux êtres magiques. Tous n'étaient pas aussi visibles que l'école et le pont, mais ils seraient un jour aussi solides que celui qui la liait à Elys et Leya, à Arukan.

La jeune fille soupira, sentant son cœur s'alléger d'un poids qui ne l'avait pas quittée depuis qu'elle avait vu sa mère mourir sous ses yeux, dans leur petit appartement, sur terre. Leya glissa un bras sur son épaule, Elys sur sa taille.

Elle n'avait pas tué l'assassin de sa mère de ses propres mains, finalement.

Mais elle l'avait bel et bien vengée.

Cette quête de vengeance était finie. Tout était fini.

En levant la tête, un sanglot dans la gorge, elle sentit un sourire se frayer un passage sur son visage.

Le regard sage d'Arukan effaça en un instant la tristesse qui lui dévorait le cœur.

- Tu te trompes, Anaca. Tout est sur le point de commencer.

Fin