De la sueur et des armes

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Seule, allongée dans l'herbe, une brindille dans la bouche et les yeux dans le vague, je me suis laissée porter par mes pensées. Elles m'ont emmenée quelques années plus tôt, pendant mes séances d'entraînement avec Anya.

Mon mentor m'avait imposé un rythme d'enfer. Chaque matin pendant des mois, nous avions couru dans la forêt qui bordait notre village. Elle ne s'arrêtait que lorsque je m'effondrais au sol en suffoquant, les poumons et la gorge en feu. J'avais fini par gagner en endurance, et elle n'avait arrêté cet exercice que lorsque j'avais réussi à courir plusieurs heures d'affilées.

Elle m'avait ensuite entraîné à maîtriser toutes sortes d'armes, dont quelques unes que je n'avais encore jamais vues. J'avais pris beaucoup de plaisir à apprendre à me servir d'une lance. Si au début l'arme m'avait paru lourde dans ma main, elle était devenue de plus en plus légère à mesure que mes muscles se développaient. Car quand nous ne nous entraînions pas, Anya ne me laissait pas me reposer pour autant.

Elle me trouvait toujours un millier d'activités à faire, comme par exemple des parcours d'obstacles emménagés dans la forêt spécialement conçus pour les apprentis comme moi. Je devais alors me hisser sur des plateformes par la force de mes bras, ou escalader des falaises, ramper dans de petites grottes, traverser une rivière au courant violent. Et bien d'autres choses encore. Son imagination était sans limite, elle se servait de l'intégralité de la nature comme d'un camp d'entrainement aux possibilités infinies.

Lorsque je me faisais de grosses blessures -et ça arrivait souvent-, Anya profitait de mon incapacité à faire le moindre mouvement pour m'assommer à coup d'explications sur la situation politique et sur le rôle d'un leader ainsi que de ses responsabilités. Quand elle me trouvait trop distraite, elle me donnait une tape sur la tête ou me jetait ce qu'elle tenait dans la main en me sermonnant sur l'importance de ce qu'elle me racontait.

J'avais fini par comprendre comment fonctionnait Anya, et comment je pouvais me sortir de certaines situations délicates. J'avais appris à faire la différence entre sa "fausse colère" et sa "vraie colère". En général, je réussissais à m'en tirer grâce à un sourire angélique et un air innocent. Quand je la trouvais trop dure, je n'hésitais pas à hausser le ton et lui dire le fond de ma pensée. Même si elle essayait de le cacher, je la soupçonnais d'aimer ce trait de ma personnalité. Mais lorsqu'elle était vraiment en colère, même si ça n'arrivait au final que rarement, je baissais la tête et ne prononçais plus un seul mot, sauf pour présenter mes excuses et affirmer que ça ne se reproduirait plus. Comme la fois où j'avais failli déclencher un incident diplomatique avec un autre clan lors d'une réunion importante parce que j'avais brisé une de leur statue sacrée en chahutant avec Jeyk, qui était aussi présent à ce moment là.

Mais la plupart du temps, sous son masque froid, sévère et râleur, elle cachait un grand sens de l'humour, un côté joueur et une flamme qui la faisait bouillonner de vitalité. Après tout, elle n'avait qu'une vingtaine d'années. Elle me faisait parfois quelques petites blagues que je n'appréciais pas toujours, même si je finissais par en rire. Elle m'avait poussé dans l'eau du haut d'un grand rocher et avait crié "Vole, petit oiseau !". J'avais fait un énorme plat qui m'avait fait souffrir pendant plusieurs jour, et je lui en avais voulu longtemps.

Elle m'avait également appris à prendre soin de Skaifaya, la jument qu'elle m'avait offerte il y a maintenant 4 ans. Anya m'avait montré comment la panser, lui démêler les crins, lui curer les sabots. Elle s'était gentiment moquée quand ma jument avait renâclé sur mon visage, m'aspergeant d'un liquide visqueux. Je m'étais essuyée sur sa manche, pour la peine, et j'avais immédiatement reçu un coup de pied au derrière. J'avais détalé en riant, et elle avait secoué la tête avec exaspération sans toutefois réussir à dissimuler son sourire.

Leksa Kom TrikruOù les histoires vivent. Découvrez maintenant