Chapitre 13 - L'accord

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 La salle de banquet était la plus grande que j'ai jamais vue. On aurait pu y faire tenir l'Arène de Stanja. Elle contenait treize tables, bien alignées. Elles représentaient les treize filles de Min. Incroyables stratèges, elles firent de Rauthrsandr ce qu'il était à présent. Salomon III descendait de la cadette de la fratrie, Gemma, la seule à avoir eu un enfant.

 L'étalage de richesse, à côté du dépouillement de la salle du trône, semblait presque déplacé. Il y avait plusieurs milliers de bougies, illuminant les verres en or et des assiettes en porcelaine hors de prix. Des plats plus coûteux les uns que les autres avaient été déposés devant les convives, si nombreux que je ne pus les compter. La salle était bruyante, l'ambiance joyeuse.

 Je suivis Corbeau et Héra jusqu'à la table centrale. Le roi me fit asseoir à côté de son fils, à l'opposé de sa propre place. Lahire ne devait pas avoir plus de treize ans. Il ressemblait beaucoup à son père, mais ses cheveux avaient des reflets cuivrés. En voyant son air doux, je me demandais comment cet enfant allait pouvoir régner sur un pays de guerrier.

 Le monarque se leva. Immédiatement, tout le monde se tut.

 -Mes amis, si je vous ai réunis aujourd'hui, c'est pour souhaiter la bienvenue à notre nouvel Elite.

 Il me fit signe de me mettre debout. Une véritable ovation retentit dans la salle. J'avais l'impression de me retrouver dans l'Arène, le jour où j'avais été nommé Maître.

 -Ce jeune homme n'a que dix-sept ans, et pourtant, il a vaincu la plus forte de nos Elites. Et cela, sans avoir recourt à ses pouvoirs, mes amis ! Rauthrsandr peut être fier d'avoir un tel prodige dans ces rangs. Rauthrsandien ! Aujourd'hui, je vous donne Hunter Sheitan !

 De nouveau, on m'acclama. Le roi porta un toast, puis les invités entonnèrent la chanson des Elites. Cette dernière faisait partie des six chants rituels que nous apprenions dès notre plus jeune âge, avec la chanson de Min, celle du Roi, celle de la cérémonie de la Zielka et celle de la naissance.

 Quand les dernières notes s'éteignirent, le repas commença.

 Le prince se pencha vers moi pour me parler.

 -Hunter, donc ?

 -Oui, mon prince.

 -Appelle-moi Lahire.

 -Ce n'est pas...

 -Je me moque de ce genre de chose. Corbeau, il m'appelle par mon prénom. Enfin, quand je peux le voir.

 Je jetai un regard à mon ami, assis entre Jerra et une autre Elite d'une cinquantaine d'année. Il semblait ravi de ne pas être à côté d'Héra.

 -Dis-moi, tu pourrais m'apprendre à me battre ?

 Je tressaillis.

 -Tu ne sais pas te battre ?

 -Mon père ne veut pas.

 -Alors je ne peux rien pour toi.

 Le garçon eut un air de défi.

 -Je ne pensais pas que tu étais du genre à suivre les ordres, Hunter Sheitan.

 -Quand ma tête en dépend, je ne m'amuse pas à jouer les rebelles.

 Il ricana.

 -Mon père ne toucherait pas à un cheveu de ses précieux Elites. Tout ce qu'on risque, c'est de se faire priver de dessert. Je suis sérieux, dit-il en me voyant hausser les sourcils.

 -Ton père a forcément une raison, s'il ne veut pas que tu combattes.

 -Ma mère est morte lors d'un duel. Il en a beaucoup souffert, et il a peur qu'il m'arrive la même chose. Avec un Elite comme toi, je ne risque rien.

 -J'ai tué des gens.

 -Des Inaptes.

 Je fis mine de m'intéresser à mon voisin, un Elite entre deux âges, musclé comme un taureau. C'était le seul dans ce cas : tous les autres étaient du genre petit et svelte.

 -Je t'apprendrais des choses.

 Je me tournai un peu brusquement vers le prince.

 -Pardon ?

 De nouveau, il sembla sur le point de me provoquer en duel.

 -Je suis prêt à parier que tu ne sais rien faire à part te battre. Tu es illettré, tu ne connais que les grandes lignes de l'histoire de Rauthrsandr, tu ignores tout de la musique et des autres arts, tu ne sais pas comment poussent les plantes, comment s'occuper d'un animal...

 D'un geste, je le coupai dans son élan.

 -Je sais me battre, je connais parfaitement la géographie, je parle couramment dix langues, je sais monter à cheval. C'est tout ce qu'on me demande.

 -Hunter, tu n'as jamais désiré être plus que ce que l'on te demande ? Ce n'est pas parce que tu es fort que tu te dois d'être stupide. Dix langues, ça veut dire que tu es plus malin que la moyenne. Avant, tu étais considéré comme un génie si tu en parlais cinq. Tu n'es pas un simple gorille.

 Du bout du doigt, il préleva de la sauce dans son assiette, et traça dans la mienne, toujours vide, d'étranges symboles.

 -Qu'est-ce que c'est ?

 -C'est ton nom. Hunter.

 Je me penchai pour mieux voir ces drôles de signes. Je trouvais ça beau, fascinant. Je ne pensais pas que mon prénom pouvait être si agréable à voir.

 -Alors ?

 -Ces... Ces traits, ils veulent vraiment dire « Hunter » ?

 -Oui.

 J'en restai sans voix. Des dessins permettaient de représenter des sons.

 -Et Lahire, ça s'écrit comment ?

 Il reprit de la sauce et traça d'autres traits. Je montrai un symbole.

 -Ce signe-là, c'est le son « r », c'est ça ? C'est le seul qui soit commun à nos deux noms.

 -C'est ça. Ça t'intéresse, pas vrai ? Je peux t'apprendre à écrire, et tant d'autres choses ! Tu n'imagines pas ce que tu peux découvrir. Je te demande juste de m'apprendre à me battre.

 J'observais les symboles. Les lettres. Et, au fond de moi, quelque chose me souffla que cela en valait la peine.

 -Je suis d'accord.

Hunter's shadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant