-Allume cette bougie.
Je contemplai l'objet, dubitatif. Corbeau soupira. Il était particulièrement patient, compte tenu du fait qu'Héra avait laissé tomber au bout de quelques heures.
-La première fois que tu as utilisé tes pouvoirs, tu as fait appel au feu. Avec un peu de chance, tu réussiras à nouveau.
Je me concentrai sur le bâton de cire. Sa mèche sombre semblait me narguer. Je tendis la main vers elle, désirai qu'elle s'enflamme. Rien ne se produisit. Agacé, je fermai les yeux. Toujours rien. J'étais sensé être puissant. J'avais brûlé tout un village. Et j'étais incapable d'allumer une bougie ! Je frappais sur la table avec un cri rageur. Une violente flamme détruisit l'objet. Corbeau sauta en arrière.
-Hunter, tu dois allumer la bougie. Pas la brûler.
-Je n'ai pas fait exprès.
-C'est bien ça le problème. Pour l'instant, tes pouvoirs ne réagissent qu'à tes émotions. Si tu veux qu'ils te soient utiles, tu dois les faire obéir à ta volonté.
-Comment ?
-Tu considères encore que toi et ton don êtes deux notions distinctes. Ce n'est que quand tu comprendras que tes pouvoirs sont une part de toi que tu pourras les maîtriser.
-Tu crois que c'est si simple ?
-Je suis passé par là, moi aussi.
Je ne sais pas si c'était la fatigue, ou simplement la frustration de ne pas obtenir de résultat, mais son calme me mit hors de moi.
-Oh, et puis tu sais quoi ? Fiche-moi la paix.
-Hunter...
-Fiche moi la paix !
Un puissant coup de vent balaya la pièce, envoyant les meubles se briser contre les murs. La table, arrachée du sol, fut projetée contre Corbeau, qui tomba parmi les débris de chaises et de vases avec un grognement de douleur.
-Corbeau !
-C'est... c'est rien...
Etrange façon de dire qu'il avait une profonde entaille à la joue et un éclat de bois enfoncé dans le flanc. Par chance, Rauthrsandr est coutumier aux blessures de ce genre, et à nous deux nous parvînmes à fabriquer des pansements sommaire. Je voulus aller chercher une personne plus qualifiée, mais il me retint par le poignet.
-Je crois que j'ai une idée, Hunter.
-Corbeau, tu es blessé.
-Ça peut attendre, j'ai connu pire.
Avant que j'aie le temps de protester, il nous téléporta. Quand la vue me revint, je reculai instinctivement. Nous étions à la périphérie d'un cercle de cendre et de gravas, parsemé çà et là de restes de maisons. Stanja.
-Pourquoi m'avoir amené ici ?
Corbeau s'assit par terre, avec un léger gémissement.
-Je pense que les réponses à tes questions sont ici. Je te laisse y aller. Prends le temps qu'il faudra.
Réticent à l'idée de me rendre sur le territoire que j'avais détruit, j'avançai lentement. Je sentais à peine le sol sous les poussières qui autrefois avaient été des êtres humains, et qui à présent étaient mêlées à celles de leurs animaux, leurs plantes, leurs habitations. Sur un mur noirci, on distinguait l'ombre d'un de ces malheureux, figée pour l'éternité dans une position de terreur.
Presque sans y penser, je retrouvai l'endroit où je me trouvais quand j'avais libéré mes flammes. Je me laissai tomber à genoux, dans ces cendres qui étaient certainement, en partie, celles de ma mère. Mes doigts se cognèrent sur quelque chose de dur. Je saisis l'objet, reconnaissant le pendentif de ma mère. Depuis la mort de son propriétaire, la magie qui empêchait quiconque de le toucher avait disparu. Ce n'était plus qu'un simple morceau de métal, sans aucun pouvoir. Etrangement, le cordon était en parfait état. Avec douceur, du bout du pouce, je le nettoyai. Il reprit un peu de son lustre.
Je retirai mon collier, fixai les deux symboles. Le triskel et le trifoïl. Les branches et les feuilles. Même avec leurs différences, on les devinait liés. Gris argent, ils prenaient à la lumière un éclat bleuté. Qu'est ce qui les différenciait, sinon leur forme ? Ils étaient faits dans le même matériau, représentaient la même chose. Mais ils étaient différents.
Pour le Hunter que je croyais être et celui que j'étais, c'était l'inverse. Ils se ressemblaient, mais, à l'intérieur, ils étaient différents. Le premier Hunter n'avait pas de pouvoir. Il ne se posait pas de questions. Et pourtant, j'étais un élémentaliste, et j'étais totalement perdu. Si je ne pouvais pas avoir de certitude sur ma propre nature, de quoi pouvais-je être sûr ?
Le vent souleva un peu de cendre, qui se déposa sur ma peau. Un instant, j'entendis dans ma tête les voix de ceux qui étaient morts, de ces enfants prometteurs, de ces fiers guerriers. Ils n'auraient pas dû mourir. Ils avaient le droit de vivre. Et ce droit, mes pouvoirs le leur avaient arraché.
Non. Pas mes pouvoirs. Moi. C'étaient mes émotions qui avaient allumé ce brasier. C'était moi qui les avais tués. Ils avaient péris par ma faute.
J'étais dangereux. J'étais dangereux, car je ne contrôlais pas mes pouvoirs. Parce que je ne me contrôlais pas moi-même. Je pouvais tout faire de mon corps, mais n'avait aucune maîtrise de mes émotions. J'étais une arme. Une arme incontrôlable.
Je m'en voulais pour cela, de la même façon que je me détestai de ne pas avoir pu sauver ma mère. Je devais me contrôler, sans quoi que resterais jamais un danger. Mais comment faire ?
Mes pouvoirs sont une partie de moi, m'avait dit Corbeau. Alors, si je voulais les comprendre, les maîtriser, ne fallait-il pas que je me connaisse moi-même, que je m'accepte tel que je suis ?
Soudain, je me rappelai le regard de Bella, avant sa mort. Elle se moquait que je la sauve ou pas. Elle voulait que je sois libre.
Elle m'aimait.
Cela voulait dire qu'on pouvait m'aimer. Que je n'étais pas forcément une erreur.
Une profonde paix m'envahit.
Je fermais les yeux. Je sentais le vent. La terre. L'eau. Le feu. Ils m'obéiraient, si tant est que je les acceptais comme une partie de moi. Je me concentrai sur l'air, partout, autour de moi, en moi.
Quand je rouvris les paupières, une petite tornade s'était formée. D'une simple inflexion de ma volonté, je la fis grandir, devenir minuscule.
Quelques mètres plus loin, Corbeau se releva.
-C'est ça ! C'est ça, Hunter !
Mon attention retomba, la tornade aussi. L'Elite tituba vers moi.
-Tu as réussi.
-Presque.
-C'est un bon début.
Je remis mon collier, et il posa la main sur mon épaule pour nous ramener à Linngard.
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Hunter's shade
FantastikAnnées 4000. Il y a mille ans, après avoir tué son créateur et détruit toutes les technologies, l'androïde Ouranos a réduit à néant la civilisation humaine. Sans l'intervention de la mystérieuse Gaïa, les hommes auraient été rayés de la surface de l...