Corbeau arriva sitôt qu'Héra lui avait annoncé ma décision. Il se planta devant moi, ses yeux trop clairs plongés dans les miens.
-Je résume : tu veux fuir tes responsabilités pour tuer une machine pensante, qui, si elle existe vraiment, est certainement protégée par une armée de soldats surentraînés. Et cela, malgré la colère du roi, qui, si tu échappes à la condamnation à mort pour désertion, te vaudra de ne plus pouvoir remettre les pieds à Rauthrsandr de ta vie. D'ailleurs, tu ne sais même pas où est ton ennemi. Si ça se trouve, tu devras parcourir des territoires des plus hostiles, alors que ton seul voyage dans ta vie a été le trajet entre Stanja et Linngard. Je n'ai rien oublié ?
Je baissai la tête.
-Dit comme ça, ce n'est pas très reluisant.
-Effectivement.
-Mais je ne peux pas...
Il me coupa d'un geste.
-Tu avais bien dit que tu pensais qu'Ouranos te cherchait, non ? Si c'est le cas, il viendra à toi. Il suffit d'être patient.
Je réfléchis un instant. Il avait raison. Je n'avais aucune chance de sortir vivant d'une telle entreprise. Mais Ouranos avait envahi tout un village pour me trouver. S'il s'était donné tout ce mal, il reviendrait à la charge. C'était certain.
Mais pourquoi vouloir à tout prix me capturer ? Jusqu'à récemment, je n'avais rien de spécial. J'étais juste un guerrier, doué certes, mais sans pouvoir surnaturel. A Rauthrsandr, il y avait des dizaines de personnes mieux que moi. Personne n'aurait pu imaginer que j'étais un Dissimulé. Et pourtant, c'était moi qu'il avait visé. Ma mère savait que la machine pensante était à l'origine de l'attaque. Et si c'était elle, la réponse à mes questions ? Qu'avait-elle de si incroyable, pour qu'on veuille absolument mettre la main sur son fils ?
Ou alors, c'était ma naissance qui m'avait valu tant d'attention. L'enfant né d'une vierge. Le garçon sans père. Cela faisait-il de moi un être encore plus particulier que les gens le pensaient ?
Qui étais-je ? Qui était ma mère ?
Il m'était impossible de répondre à ces questions, et cela me rendait fou. Le pire instant survenant dans une vie est celui où l'on se rend compte que le plus grand inconnu de notre entourage, c'est nous-même.
On frappa violemment à la porte. Un jeune page entra sans attendre de réponse.
-Le roi est de retour. Il vous attend dans la salle du trône.
Le roi ? Je ne savais même pas qu'il était parti, et, sincèrement, j'avais presque oublié que j'étais sensé vivre sous le même toit que lui. Un instant, je songeai à aller me changer, mais Héra me retint.
-Il se fiche comme d'une guigne de la façon dont tu t'habilles, Hunter. Le roi Salomon est un peu... spécial.
Salomon III était bien plus célèbre que ses Elites. On le savait d'un naturel jovial, toujours en mouvement, peu regardant sur les petites infractions mais implacable avec ses opposants. Il avait une très bonne réputation, et l'on racontait que son fils, le jeune Lahire, avait hérité de son intelligence et de son don pour s'attirer l'affection des gens. Comme tous les rois avant lui, il était Normal. Il descendait de Min, l'homme qui avait réuni les premiers rauthrsandiens.
Le plus étonnant était que Min n'était pas un guerrier, mais un intellectuel passionné des temps anciens. Il avait lui-même inventé notre langue, souhaitant néanmoins qu'elle évolue en permanence. Pour créer une société forte, il s'était entouré de sept combattants de génie : les premiers Elites. Ces derniers avaient alors entrainé de jeunes gens aux grandes capacités physiques. Rauthrsandr était né.
Depuis, les rois avaient pour devoir d'être les plus avisés du pays. Cela les rendait indispensable pour les relations avec l'étranger. Ainsi, même s'ils ne faisaient que rarement partie des meilleurs guerriers, personne ne songeait à les remplacer.
La salle du trône était particulièrement sobre. Le siège lui-même était en chêne plutôt qu'en métal. Assis avec une rare prestance, un homme d'une quarantaine d'année nous fit signe d'avancer. Les cheveux blonds décolorés par le soleil, les yeux turquoise, il avait une mine rayonnante. Son front était ceint d'un simple anneau d'acier. Il portait encore ses vêtements de voyage. Derrière lui se tenait une vieille femme à l'air sévère, que j'identifiai comme une Elite grâce au kriss passé à sa ceinture. Le roi écarta les bras comme s'il voulait nous enlacer.
-Mes jeunes Elites ! Quel plaisir de vous voir ! Corbeau, on m'a dit que tu avais été blessé ?
-Oui, mon roi, mais je vais mieux à présent.
-J'en suis ravi, mon garçon. Et toi Héra, tout va pour le mieux ?
-Comme toujours, mon roi.
-Et voici donc le fameux Hunter. Je serais bien venu te voir directement après ta nomination, mais je n'ai le pouvoir de ce cher Corbeau.
Je ne savais pas vraiment quoi répondre, alors je me contentai d'un :
-Merci, mon roi.
-N'ai crainte, j'organise un banquet en ton honneur ce soir. Tu as bien prévenu tout le monde, Jerra ?
La vieille Elite hocha la tête, l'air vexée qu'on lui confie la tâche de prévenir les gens qu'il allait y avoir une fête.
-J'ai seulement une question, jeune homme. Est-ce bien toi le garçon avec un seul parent ?
-Oui, mon roi, je n'ai pas de père.
-On m'a parlé de toi. J'espère que tu te plais à Linngard.
Une étrange lueur dans ses yeux me fit comprendre que cette phrase, d'apparence anodine, cachait un second sens. Il avait deviné. Il savait que je comptais partir.
Pourtant, il ne semblait pas en colère. Sa façon de me regarder, ainsi que les autres Elites, avait presque l'air... protectrice.
Curieux individu que Salomon III. Et quelque chose me disait que je n'étais pas au bout de mes surprises.
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Hunter's shade
FantasyAnnées 4000. Il y a mille ans, après avoir tué son créateur et détruit toutes les technologies, l'androïde Ouranos a réduit à néant la civilisation humaine. Sans l'intervention de la mystérieuse Gaïa, les hommes auraient été rayés de la surface de l...