Chapitre 15 - Trouve Gaïa

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 Lahire était un piètre guerrier. Malgré tous mes efforts, il avait du mal à dépasser le niveau de second grade. Mais il avait une volonté de fer, et cela piquait ma curiosité. Combien d'enfants avais-je vu se déclarer volontairement Inapte, se donnant eux-mêmes la mort ou se faisant esclave, tout simplement parce qu'ils n'avaient pas le courage de continuer leur entraînement ? Il aurait eu mille fois plus de raison d'abandonner que tous ces gens. Mais, pourtant, il tenait bon. C'était fascinant.

 Pour la lecture et l'écriture, je faisais des progrès. Lahire écrivait le texte des chansons rituelles, et je les lisais –lentement, mais de mieux en mieux. Puis je devais les réécrire. Je préférais l'écriture à la lecture. Je trouvais cela plus simple, et j'aimais tenir les bâtons de charbon entre mes doigts.

 C'est de cette façon que je découvris le dessin. Alors qu'il commençait à désespérer de trouver chez moi le moindre talent artistique, Lahire me surprit en train de griffonner le visage du roi sur un parchemin, pour illustrer sa chanson. On aurait dit que je venais de vaincre tous les Elites en quelques minutes, tant il semblait ravi. Il déclara que j'étais très doué, et depuis, j'avais été contraint de dessiner des centaines d'animaux et de fleurs. Personnellement, je préférais les humains, dont la palette d'expression faciale était plus grande. Le coffre dans ma chambre contint bientôt des représentations de tous les habitants du château.

 Cela ne n'empêcha pas le prince de tenter de m'enseigner les bases de la musique. Il en vint à la conclusion que j'avais « l'oreille mais pas les doigts », façon courtoise de dire que je chantais juste mais que, quel que soit l'instrument, je jouais comme un pied –et croyez-moi, c'est un euphémisme.

 Pour l'histoire, la géographie, la stratégie militaire et les connaissances de la nature, je me débrouillais beaucoup mieux. J'avais beau m'ennuyer, je n'avais aucune difficulté à enregistrer les informations que l'héritier du trône me récitait un soir sur deux –les autres étant destinés à ses leçons de combat. Il me reprochait beaucoup mon manque d'enthousiasme, mais, sincèrement, je voyais mal en quoi connaître la totalité des plantes pour soigner les verrues me serait utile dans la vie.

 Je passais mes journées avec Corbeau et Héra, supportant leurs enseignements sur mon rôle d'Elite et m'amusant de leur conflit permanent. En début d'après-midi, nous nous entrainions dans le gymnase. A plusieurs reprises, j'aperçus Lahire, qui nous espionnait. Corbeau seul supervisait mes « leçons de magie », sa capacité à se téléporter lui évitant une fin funeste –sans elle, il serait mort exactement trois-cent-cinquante-huit fois. J'avais beau faire de grands progrès pour ce qui était d'utiliser mes pouvoirs, j'avais quelques difficultés à le faire avec finesse. Il me fallut un mois pour allumer une bougie et créer une petite brise, et deux pour façonner des sculptures de terre et des petits animaux d'eau. Par contre, dès qu'il n'y avait plus besoin d'être subtil...

 Je découvris que l'élément terre ne correspondait pas seulement à la terre elle-même, mais aussi aux autres composant du sol : le sable, les pierres et même les métaux. Il fallait voir la tête d'Héra, le jour où, lors d'un entraînement, je tordis son épée d'une simple pression de la volonté ! Je ne crois pas avoir déjà vu Corbeau aussi heureux que devant son regard dépité.

 D'ailleurs, ce moment m'avait tellement plu que je choisis de le dessiner le soir-même, juste après les cours de Lahire.

 Je commençai à tracer les contours du visage de mon amie quand un page entra :

 -Le roi vous demande.

 Me demandant ce que le souverain pouvait bien me vouloir à cette heure si tardive, je posai mon bâton de charbon, et me rendit à la salle du trône. Cette fois, Salomon III était seul.

Hunter's shadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant