Chapitre 14 - Mort

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 Le vieux château était froid. Ses pierres grises, même en plein soleil, n'absorbaient aucune chaleur. Les torches accrochées au mur n'étaient pas non plus d'un grand réconfort. Les griffes monstrueuses qui les maintenaient semblaient sur le point de les lâcher à tout instant, pour s'en prendre aux jeunes gens qui passaient sous les flammes avides.

 Mort avait grandi ici. Il avait cinq ans quand le Dieu l'avait recueilli. Il l'avait tiré de la misère de la vie, pour le plonger dans l'ombre de la mort. Mais la mort, c'était lui qui la donnait. Il était le meilleur, le Dieu le lui disait. Le Dieu l'aimait. Mort se moquait d'être devenu un monstre, tant qu'il avait l'amour de son maître. Il était le seul à le couvrir de son affection, affection que ses parents n'avaient pas pu lui donner, simplement parce qu'ils venaient de pays différents. Affection que le monde lui avait refusé, car il n'était qu'un demi-sang, une aberration.

 La colère le poussa à s'arrêter. Furieux, il frappa le mur de toutes ses forces. Il ne sentit rien. Le Dieu l'avait amélioré. Il avait échangé son œil droit contre un œil artificiel, capable de voir à des kilomètres. Et il avait détruit une partie de son cerveau, pour qu'il n'ait plus jamais mal.

 Le Dieu l'avait rendu tout puissant. Et Mort utiliserait ce don pour se venger du monde qui l'avait rejeté. Ce monde qui l'avait laissé à moitié mort, mais qui n'avait pas réussi à venir à bout de lui.

 Terra avait été trop faible pour le tuer. Et à présent, il était assez fort pour tuer Terra. La boucle serait bouclée.

 -Mort, mon enfant.

 Il frémit en entendant la voix du Dieu dans son esprit, douce comme la soie, plus chaleureuse que la lumière du jour.

 -J'ai à te parler. Viens à moi.

 Mort se précipita dans la Grande Salle. On ne faisait pas attendre le maître.

 Ce dernier l'attendait avec son sourire angélique. Il était toujours aussi beau, toujours aussi jeune, malgré toutes ces années. Il se leva et s'approcha de Mort, avant de le serrer contre lui. Le jeune homme s'abandonna dans cette étreinte, qui, il s'en souvient, était dure et froide. Une étreinte de pierre polie. Elle était la seule à laquelle il avait jamais eu le droit.

 Le Dieu recula, caressant sa joue. Son doigt descendit jusque dans son cou, effleurant le tatouage qui le désignait comme un demi-sang.

 -Cerbère a rejoint l'enfant, Mort. Le moment approche.

 Le garçon voulut hurler de joie, mais, de peur de décevoir le Dieu par son manque de contrôle, il se retint.

 -Bientôt, nous serons vengés, toi, moi, et tous les autres. Mais il nous faut le garçon.

 -Je vous l'apporterai, seigneur.

 -Ne le sous-estime pas, Mort. Cet enfant dispose d'une puissance dont tu n'as même pas idée. Même toi, le plus fort des Quatre, tu ne rivaliserais pas avec lui.

 -Dois-je comprendre que nous devrions aller tous ensemble pour la prochaine attaque ?

 -Non. Je ne peux pas prendre le risque de perdre un seul d'entre vous. Je ne le supporterai pas, Mort, tu comprends ? Vous êtes comme des fils pour moi. Je voudrais tout de même que tu te joignes à la bataille. Mais, si ta vie est en danger, tu dois fuir, tu m'entends ?

 -Tout ce que vous voudrez, Maître.

 -Excellent, mon garçon. Excellent. Va, à présent. Choisis qui, parmi les Treize, t'épaulera, et prépare tes soldats. Préviens notre agent sur place. Hâte-toi, à présent. Tu es maître de notre destin.

 Le Dieu asséna sur l'épaule de Mort une tape paternelle. Et, s'il ne la sentit pas, elle provoqua tout de même chez lui une explosion de bonheur.

 Son maître l'aimait. Il lui faisait confiance.

 Alors qu'il sortait de la Grande Salle, ses frères adoptifs bondirent sur lui.

 -Mort, qu'a dit le Dieu ? demanda Guerre.

 Il était inquiet, car c'était lui qui avait organisé la bataille de Stanja. Il se sentait responsable du fait que ses soldats n'aient pas pu capturer la cible.

 -Je ne crois pas qu'il t'en veuille, il n'en a pas parlé. Ton échec a donné à Cerbère l'occasion d'approcher le garçon.

 Le jeune homme soupira de soulagement. Famine eut un petit rire. Il était comme ça, Famine. Toujours à apprécier le malheur des autres. Pestilence lui donna un coup de coude dans les côtes, avant de lâcher :

 -Mais alors, de quoi t'a-t-il parlé ?

 Mort sourit, de ce sourire que même ses frères redoutaient.

 -Je pars au combat dans quelques jours. Nous touchons au but.

 Il se tut un instant, juste le temps de laisser les autres digérer la nouvelle.

 -Nous aurons bientôt notre revanche sur Terra !

Hunter's shadeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant