Cyril était avec son père sur le quai. Non loin de là il pouvait distinguer les rares journalistes que tolérait la Grande Ville. Il imaginait les images de lui abattu, en gros plan sur des écrans installés pour l'événement. Il entendait quelquefois l'un des journalistes dire "... fier de représenter son district..." ou encore "... dans le district un on dit que c'est l'espoir d'une nouvelle victoire...". Tout n'était que charabias, Cyril le savait. Son père le savait. Même les journalistes à la noix le savaient, mais personne n'osait contredire, de peur de se faire rectifier, que les paroles soient truqués avec le montage avant la diffusion du reportage.
Tout était surveillé, chaque millième de seconde. Un monde oppressant auquel le roux s'est malheureusement habitué. Il savait que ce n'était pas son avenir d'être enfermé des heures dans l'obscurité la plus totale. Mais son avenir était incertain. Soit il meurt, soit il vit dans la luxure d'un gagnant des Jeux, chose que Cyril n'apprécie pas.
Dans ses réflexions, il ne vit pas son père essuyer ses dernières larmes avec discrétion. Depuis hier, le rouquin a réalisé combien son père est vieux ainsi que d'une santé fragile. Il reconnaissait les symptômes d'un cancer du poumon ; une respiration sifflante, une grande faiblesse même quand il amène de la nourriture à sa bouche à l'aide d'une fourchette. Il est assez observateur et sa sœur a pris soin de nombreuses victimes du cancer. Un geste banal pour les uns mais extrêmement dur pour le père.
Un train signala son entrée avec un bruit ressemblant à des clochettes. Cyril releva son regard et observa le train, regardant chaque détail. De la fumée sortant des rails et du mécanisme et les vieux métaux rouillés confirmèrent les soupçons du rouquin. C'était un vieux train, peut-être un modèle des années 60 ou quelque chose comme ça.
"Mesdames et messieurs le Train est arrivé pour chercher l'Élu Cyril Soudant pour la 5e édition des Jeux."
- Pas la peine de préciser non plus mon statut, j'l'ai déjà assez entendu, bougonna le concerné se levant avec un sac à dos.
Son père se leva et regarda son fils avant de fouiller dans sa vieille veste en jeans.
- 'ttends fiston, ta mère voulait te donner ceci à tes 25 ans.
Le père brandit un petit bracelet en cuir. Sur ce dernier, de couleur noire, était gravé un petit rectangle de couleur argentée, ainsi qu'un triangle dont le sommet indiqué vers la droite était creusé. Le père posa le bracelet au creux de la main de son fils avec douceur, comme si c'était précieux.
Ça me rappelle quelque chose... Oh punaise mais quoi ? Cyril fronça les sourcils attendant qu'un miracle apparaisse et ne donne la solution mais rien. En voyant des talons aiguilles écrabouillant le sol en bois, il rangit le petit bracelet directement dans l'une des poches de son jeans.
Une journaliste d'une quarantaine d'années s'approcha de lui mais d'un geste nonchalant une personne de la sécurité de la gare l'écarta. Cyril observa la scène d'un air triste. Même les journalistes sont contrôlés. Il savait à peu près tous les noms et prénoms des présentateurs qui n'ont jamais changé depuis maintenant 5 ans.
- Allons je fais mon métier ! protesta au loin la quadragénaire.
- Madame, vous savez le Règlement Journalistique. Aucune interview si le Chef Journalier n'a pas donné son accord, répondit le garde.
La discussion bouillonnante entre les deux personnes s'étouffe au loin. Le roux ne peut entendre davantage. En tout cas il sait que les différents métiers, même les plus petits, ont un règlement strict. La liberté d'antan lui manquait.
"Monsieur Soudant est appelé à monter dans le wagon 5 je vous prie. Le Train démarre dans deux minutes."
Le père et le fils se regardèrent une dernière fois. Le paternel fit une accolade, que l'Élu fit en retour. Ce dernier ferma les yeux en soufflant un peu, essayant de ravaler ses premières larmes.
- Hum... Au revoir... Je suis pas très doué pour les adieux, tenta le père.
- Moi non plus p'pa... J'espère te voir bientôt...
- Fais pas d'allusion comme ça Cyril ça me déprime...
L'intéressé ne sut que répondre et rejoignit d'un pas hésitant le numéro de wagon. Il se retourna une dernière fois, voyant son père tousser dans un petit mouchoir en tissu.
- Tu vas me manquer...
Sur ces mots il monta dans le bâtiment et s'installa sur une vieille banquette en cuir un peu déchirée. Le train démarre et sur le rythme du wagon, il s'endormit.
~~
Les roues de son fauteuil roulant glissaient difficilement sur le sol de pierre. Ses bras faisaient avancer énergiquement l'engin. Cela faisait maintenant cinq ans qu'il logeait dans le seul moyen déplacement mobile autre que son lit immobile. Il arriva devant une porte en métal et tapa le code sur le clavier heureusement à sa hauteur. Cette dernière s'entrouvrit et l'homme en profita pour pousser la porte avant de s'engager. Après être enfin réussi à entrer dans le petit bloc dont la matière des murs ressemble à de l'aluminium, il reprit ses occupations en prenant la tablette qui était posée sur ses cuisses. Il se dirige alors vers la petite table qui était constituée d'un ordinateur dont l'écran était noir. D'un doigt agile, il fit déplacer l'écran pour que ce dernier s'affiche sur son ordinateur et commença son travail.
Ses doigts vifs tapèrent sur des touches de clavier avec vigueur. Son regard brun était braqué sur l'écran sombre défilant des caractères blancs. Toute sécurité était détruite face à sa ruse, sauf celle de l'Obscurité. Il aimait l'appeler comme ceci car c'était toujours un coin sombre dans un monde de lumières. Cela l'énervait mais le fascinait. Toutes ses adresses IP noires qui tombent grâce à sa vivacité l'emerveillèrent. Et les adresses IP noires qui le résistaient était un challenge pour lui. Un challenge plutôt amusant, surtout qu'il n'était pas aussi intéressé par les instruments informatiques qu'il essayait de comprendre il y a plusieurs années.
La porte en métal s'ouvrit une bonne dizaine de minutes et fit sortir momentanément de ce monde virtuel le handicapé moteur. Le bruit des pas lourds et le claquement des lacets sur les bottes confirmaient l'identité du nouveau venu ; il savait que c'était l'un de ses amis qui dirigeait la Vie.
- Alors tu en es où ? posa ce dernier d'une voix assez dure pour sa voix normalement douce.
- Il est assez coriace mais j'y suis presque, répondit nonchalamment le concerné.
- Pourtant c'est qu'un obstacle pour toi, s'étonna son interlocuteur.
- Excuse-moi de ne pas avoir été aussi intéressé par les machines qu'il y a cinq ans ! répliqua l'informaticien.
L'individu debout foudroya du regard et alla répliquer quand une petite fenêtre affichant une personne s'ouvrit sur l'écran. Les deux regards se tournent instinctivement vers la fenêtre. Elle était petite mais l'homme s'occupant de l'ordinateur fit un petit geste de victoire. La fenêtre indiqua une personne qui dormait dans le wagon, l'image grisant légèrement les couleurs brunes et rouges du petit espace mais la couleur de cheveux confirma que c'était la bonne personne.
- Il est toujours vivant ? dit avec surprise l'homme debout en se penchant comme s'il n'y croyait pas.
- Yep. Attends je vois un truc...
L'informaticien zooma sur la poche gauche de l'endormi. On distingue la forme d'un petit rectangle malgré le tissu épais du bas. La silhouette à côté de lui se releva, stupéfait.
- Quoi, qu'est-ce qu'il y a ? s'inquiéta l'informaticien en détournant son regard pour le planter dans celui de son interlocuteur.
- I... Il a un bracelet...
- Et ?
- Je pense qu'il peut nous sauver.
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ActionUn passé glorieux, un présent malheureux et un futur espéré joyeux. Une flamme dévastatrice, de la glace brûlant sous la colère, des machines aux armures métalliques. Les citoyens se taisent, les rebelles entretiennent la braise. Qui aura le courage...