- 73 jours après ma mort -

189 36 36
                                    


Encore en cet instant, je sais pas pourquoi j'aimais tant ma casquette bleue. Je sais pas pourquoi j'aurais préféré tout perdre : mon téléphone, ma carte vitale, mes chaussures fétiches et même ma dignité, plutôt que ma casquette. Je l'ai gagné dans une fête foraine, j'étais entouré de mes meilleurs amis et cette journée avait un goût particulier. Bah oui, j'étais heureux.

Je me sentais grand, ma mère venait de m'autoriser à sortir tout seul avec mes amis pour la toute première fois. J'avais aussi gagné un prix, ce qui ne m'était jamais arrivé parce que je suis pas vraiment doué pour quoi que ce soit. Mais mon grand-père me disait souvent : « si t'es un bon à rien, apprends à être bon à faire croire aux autres que tu ne l'es pas ».

Du coup, j'ai enfilé ma casquette et j'ai pavané des semaines avec. Je me suis toujours dit que si je m'y accrochais, rien de mal ne pourrait m'arriver, parce que je l'avais mérité, cette casquette. Force est de constater que le jour où je suis mort, je ne la portais pas. Non, ce soir-là, je n'aurais pas eu le courage de subir un poids de plus sur mes épaules, aussi mince soit-il. Trop de choses me couvraient déjà la tête : mes mauvais choix, mes mauvais souvenirs, mes mauvaises actions. Bah oui, je n'étais pas heureux.

Je suis comme ça, j'oscille dangereusement entre les deux bords, je tangue dans le vide, ça me fait trembler, ça me fait hurler, ça me fait vivre. Je me suis peut-être penché un peu trop loin ce soir-là, c'est vrai. Je n'ai pas simplement gâché ma vie, j'ai détruit ma mère, mes meilleurs amis, et tous ces jeunes qui se sentent insouciants et immortels. Juste parce que je suis vraiment un bon à rien, même pas bon à vivre. Non pas que cet aspect me dérange plus que cela, parce que même en étant un bon à rien, j'ai réussi à me faire aimer. Maintenant que je suis mort, c'est tout ce qui compte, tout ce qui me reste. Et je le chéris, je pensais pas que les gens, c'était aussi important : j'ai toujours pensé que la vie l'était encore plus.

Mais c'est bel et bien les autres qui dictent notre vie et qui dictent encore ma mort, et non l'inverse. Même sans ne plus frôler des pieds la terre qui m'a vu naître, sans sentir sur mes joues le vent qui m'a porté, sans ressentir le soleil réchauffer mon corps enseveli sous la poussière, j'ai encore au creux du cœur les gens que j'ai aimé. Des choses passent et d'autres restent.

Ça me suffit, je ne suis ni heureux ni malheureux. Plus maintenant.

Je sors de mon silence. Veuillez m'excuser, veuillez m'excuser pour les vies que j'ai dicté par ma mort.

Où est David ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant