Où est David ?

XX. Le plus beau bleu

- Léon -

Je suis tellement surexcité aujourd'hui. Les deux types rencontrés la veille nous ont promis de nous emmener faire une randonnée pour aller voir un lac dont j'ai déjà oublié le nom. Peu importe. Il est question de marcher, de transpirer, de peut-être nager, et de contempler le paysage. Le sport me manque. J'ai un regain d'énergie fou, je suis le premier réveillé et j'en profite pour gonfler tout le monde. Je crois que c'est ma mission dans la vie, enfin, ça c'est ce que me répète souvent ma mère.

Je gratte l'oreille d'Achille toujours endormi sur notre matelas double.

- Casses-toi sérieux, m'intime-t-il sans même se retourner vers moi.

Ça me fait bizarre de dormir à côté de lui, je dois l'avouer. D'habitude, en vacances, je suis habitué à partager mon lit avec Louise. Ça me change ces jambes poilues, ce corps qui occupe trop de place et cette odeur de cigarette qui s'imprègne dans les draps. A cause de cela, le matin, je n'ai jamais envie de perdre du temps sous la couette, j'ai horreur des odeurs de clopes, ça me fait penser à un lendemain de soirée. Dieu sait que je les déteste. Je n'aime pas les lendemains. Ça rime trop avec fin.

Après m'être pris une énième insulte d'Achille, je descends et m'étire un grand coup une fois mes deux pieds à plat sur le sol. Je sautille sur place parce que je suis vraiment de bonne humeur. J'observe la pièce et plus particulièrement les deux silhouettes allongées dans le lit. Je me laisse tomber entre Dany et Lou sans y mettre la moindre délicatesse. Louise n'ouvre même pas un œil et glisse une main chaude derrière ma nuque, ses doigts fins glissent le long de mon épaisse chevelure et des frissons me parcourent l'échine.

Danielle a le dos tourné, elle ne réagit même pas à mon arrivée. Elle ne lâche même pas son petit habituel « je fais pas le plan à trois moi » en nous voyant enlacés. C'est bizarre. Elle dégage quelque chose de bizarre. Mes yeux se lèvent instinctivement sur Achille, qui lui aussi, masque son visage sous les draps blancs.

Je ne me rappelle pas de la fin de la soirée de la veille. Est-ce qu'elle a trop bu ? Une méchante gueule de bois ? Encore un appel de Monsieur Inconnu ? Je ne dis rien. Par expérience, je sais que discuter avec Danielle de ses problèmes ne mène à rien. Je gigote légèrement et fais en sorte de cogner mon épaule contre son dos pour qu'elle ne me sente pas trop loin. J'irradie de bonheur ce matin, j'espère qu'elle le sent, j'espère que ça la fait sourire. Mais comme d'habitude, je n'y vois rien.

Les minutes s'écoulent. Clovis est le premier à montrer l'exemple et à s'habiller. Léa se douche et de la musique commerciale fait trembler les murs aux cloisons déjà si fines.

Achille grommelle quelques insanités contre ce « son de merde » qui mériterait de finir « dans les chiottes » mais finit par se tirer du lit. S'il croit que je n'intercepte pas son premier regard de la journée qui dérive immédiatement dans la direction de Danielle, toujours allongée et muette, c'est qu'il me prend pour un abruti. Ils nous prennent tous les deux pour des abrutis de toute manière, et ce depuis longtemps. Son premier réflexe est de sortir fumer, ça en dit long, il est énervé. Et pas seulement parce que j'ai fichu mon doigt dans son oreille.

Une heure plus tard, on a nos sacs à dos, nos baskets les plus abîmées aux pieds et Clovis qui se prend déjà pour un guide de montagne qui rassemble tous les plans de route de la région. Danielle n'est vraiment pas dans son assiette, encore moins que d'habitude. Son regard est terne, elle semble soutenir un poids bien plus lourd que son sac sur les épaules. Elle s'affaisse vers l'avant, et c'est moche. Je vois sa tête qui rentre dans ses épaules, comme une tortue dans sa carapace. Elle est si grande, si élancée, la voir s'écrouler de la sorte c'est vraiment dégueulasse. Je chope la casquette de David coincée sur le rétroviseur depuis notre départ, comme une vision immobile d'un but à atteindre sur le parebrise.