- Louise -Il fait chaud. Je ventile mon T-shirt bleu de pyjama pour me sentir moins moite. On doit marcher depuis au moins une heure sous le soleil de plomb des premiers coups de midi. Une dizaine de mètres plus loin, Danielle est en tête et s'active à un rythme effréné. Elle avance tout droit le nez plongé sur l'application Maps du téléphone d'Achille, le seul portable qui n'a pas disparu avec le camping-car, et n'a plus prononcé un seul mot.
Je ne sais pas si c'est à cause de la chaleur, de la marche, ou de ce qui s'est passé aujourd'hui, mais je commence à avoir la tête qui tourne. Je commence à me demander pourquoi le monde tourne, à quoi il carbure, si c'est au malheur, au bonheur, à la mort ou à la vie.
J'ai été heureuse. Tout ce temps j'ai été heureuse. David plongeait et moi je continuais de fermer obstinément les yeux, « t'es pathétique Louise ». Je me dégoûte. Je me revois rire avec lui, et je me dégoûte. J'étais comme les autres en fait, et ça me tue. J'étais comme ces autres qui assistaient à la représentation de la vie de David. De loin. Rire. Clap. Rideau.
C'était un spectacle David. Il était tout le temps en représentation. Il montait sur scène. Il brûlait sous la lumière. Il brûlait pour la lumière. Fallait bien qu'il se courbe, qu'il se courbe pour dire au revoir, qu'il descende de scène. Et là, il devait être seul, là, ça devait être dur. Là, quand t'as plus personne, quand t'as que toi-même, quand t'as plus les rires, quand t'as plus le projecteur pour te mettre en avant, t'es plus grand-chose. T'es plus grand-chose. T'es en coulisse, t'es en attente, tu vois le prochain spectacle de loin, mais c'est loin. Tu grimaces, tu pleures, tu ris pas. Parce que t'as personne pour te voir. T'as personne pour te croire. Sur scène, tu leur dis que tu vas mal, mais les gens rient, ils croient plus. Les gens rient parce qu'ils pensent que toute ta vie se résume à cette scène. J'y ai cru. J'ai cru à tout ça David. J'ai contribué au simulacre, j'ai vraiment applaudi David, trop fort, mes paumes brûlent. Mes mains sont rouges de ton sang.
On marche et j'ai l'impression d'expier un peu. Les graviers dans mes chaussures s'enfoncent dans ma plante de pieds, je me concentre sur cette douleur pour oublier ce qui contracte mon cœur. Avec les autres, on parle plus de David. On parle du camping-car. On parle de ces « gros connard de voleur ». On parle de Danielle. On remet David à plus tard. Instinct de survie je crois.
- Si on se fait arrêter et que j'ai pas mes papiers, vous croyez qu'ils vont me renvoyer à la frontière ? nous questionne Léon.
Léon est paniqué. Léon a peur. Je me doute qu'il met ça sur le dos du vol du camping-car. Il se sert de l'humour, de ce rire nerveux qu'on peut pas retenir, qui empêche les larmes de couler ou qui cache des mains qui tremblent.
- Ferme ta gueule Léon sérieux, grogne Achille.
- Qu'est-ce qu'on cherche là au juste ? On devrait pas se rendre au premier commissariat qu'on trouve pour déclarer le vol de notre véhicule ? marmonne Clovis qui frappe dans un même caillou qu'il trimballe entre ses pieds depuis vingt minutes.
- Je crois qu'elle espère retrouver le camping-car, nous annonce Ach'.
- Le camping-car ou la casquette de David ? je lance.
Achille hausse les épaules.
Il est le seul à ne pas sembler paniqué par la situation, il se contente de garder un œil sur Danielle au loin et avance sans broncher. Je sais pas ce qu'il pense. Je crois qu'il le sait pas lui-même.
- Et si quelqu'un usurpait nos identités ? Genre nos vies, nos comptes bancaires, nos ordinateurs... ? continue Léon. J'ai vu ça dans un film, et ça finissait vraiment super mal !
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Où est David ?
Ficción General"Venez, on se tire loin. Loin de tout. " Il est parti. David les a quittés. Il les a laissés derrière, tous les cinq, lui il a pris de l'avance. Il a toujours été en avance sur tout David, et en particulier toujours sur eux. D'abord il y a...