XXII. Je suis un raté

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- Danielle –

Nous sommes repartis de Munich aussi vite que nous sommes arrivés. Je sais pas, je crois que c'est tombé au mauvais moment, qu'on avait besoin de changer de destination, de changer d'air, comme pour passer à autre chose. Passer à quoi ? Je sais pas vraiment. La voiture roule. J'ai laissé Achille conduire aujourd'hui, il semble rempli d'une détermination nouvelle, comme s'il avait lui une réponse. Je vois qu'il avait besoin de toucher le fond pour se relancer, pour se donner l'impulsion et tenter de remonter, de sortir la tête de l'eau.

Notre conversation secrète de la veille m'a rappelée notre adolescence, ces appels tardifs qu'il me passait aléatoirement, ses souffles que j'écoutais avidement de longues minutes, ses pleurs parfois, tout ça bercé par les hurlements de ses parents. Ces appels étaient rares, intenses, dans l'obscurité de ma chambre, dans la chaleur de mon lit, jamais je ne me sentais aussi proche de lui qu'avec mon téléphone. Sans jamais comprendre pourquoi, nos conversations téléphoniques lui ont toujours fait du bien. Il revenait toujours le lendemain plus serein, comme délesté d'un poids. Ça ne durait pas longtemps, comme s'il se sentait libre, apaisé l'espace d'un instant, avant de replonger un peu plus chaque jour vers une nouvelle crise. Aujourd'hui est un de ses jours, ses doigts tapotent le volant au rythme d'une musique des Rolling Stones.

A l'inverse, Léa ne sort plus de sa chambre, Léon a perdu son sourire. Louise et Clovis sont collés, ils ont la même façon de réagir, la même façon de supporter la nouvelle, ils discutent doucement sur la banquette. Louise caresse les cheveux de Clovis. Le silence est pesant dans la voiture, même si le moteur tente en partie de l'étouffer.

Je ne voulais pas. Je ne voulais pas qu'ils l'apprennent. J'ai l'impression que tout merde. J'ai peur que l'un d'entre eux craque, qu'il décide de rentrer, ça gâcherait tout. Ça ruinerait le voyage. Déjà que sans David, tout est devenu bancal, l'idée que quelqu'un d'autre nous abandonne m'est insupportable. Achille a arrêté de tapoter le volant et me regarde avec intensité dans le rétroviseur. Je passe une main brusque et effrayée sur ma joue, une larme y a glissé, je me sens vulnérable. Une sensation dont j'ai horreur. Je lui lance un regard noir en réponse, il entre sur un terrain dangereux.

- Bon, ça suffit maintenant, craque-t-il en coupant le son de la radio.

Un clignotant actionné, un majeur balancé par une fenêtre à un automobiliste et une manœuvre hasardeuse plus tard, Achille stoppe le camping-car sur une petite route paumée dans la campagne. Je ne sais même plus dans quel pays nous sommes, on a plus de territoire. Il glisse ses lunettes de soleil noires sur son nez, et se lève brusquement.

- Toi, toi, toi et toi, dehors, ordonne-t-il en nous pointant tour à tour de son index.

- On peut pas partir... Léa dort là et j'ai pas envie que... proteste doucement Clovis.

- Ta gueule, sérieux. Si elle a envie de se morfondre dans son lit, grand bien lui fasse, mais là faut vraiment qu'on cause.

- Depuis quand tu te la joues Pascal le grand frère toi ? rumine Clo. On va aller défoncer des bagnoles et courir dans un pré pour apprendre à gérer notre colère ?

- Tu la fermes et tu sors, répète-t-il en ouvrant d'un coup sec la portière avant.

Personne ne proteste, c'est inutile, ça nous vaudrait une crise d'Achille que personne n'a la force de gérer. Léon ne cache pas son agacement, il glisse les mains dans les poches de son jean mais suit le mouvement sans prononcer un mot. Il n'a rien dit depuis la veille. Il est tellement en colère, ça me rappelle cette fois où il avait découvert que Paul Leroux, le voisin de Louise, s'amusait à lui tirer fort les cheveux en classe. Il lui avait balancé un ballon de football en plein dans le nez. Je me rappellerai toujours de ce regard. De cette haine. De cette colère qu'il ne sait pas gérer. Paul avait tellement saigné du nez que ça lui en coulait sur tout le menton, il avait eu si peur de tout ce rouge qu'il n'avait pas songé une minute à répliquer. Clovis, le chouchou de notre maîtresse cette année-là, avait dû mentir pour Léon en assurant que Paul avait déclenché la bagarre en le traitant d'abruti.

Où est David ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant