XXXIV. Dernier train

229 33 29
                                    


- Léon -


J'ai l'impression qu'ils débloquent tous. Que je suis le seul un peu lucide et du coup complètement flippé. A croire que c'est aussi leur bon sens qui s'est envolé avec le camping-car. J'ai dû mal à garder mon calme dans cette situation. Mes parents m'ont élevé pour que les choses soient simples dans ma vie, pour que je me fasse des amis et que je vive heureux. Pas pour que je me retrouve avec les mêmes fringues sales depuis deux jours, sans moyen de communication, sans un toit sur ma tête. Ça me fait tout drôle, d'être en insécurité comme ça. Mon téléphone me manque, j'ai envie d'entendre mes sœurs, de les entendre rire à travers le combiné, de les entendre dire mon prénom, parfois fort et parfois en chuchotant comme pour dire des secrets qui n'ont pas de sens. Je leur envie ce temps où je n'avais pas à me soucier du monde des adultes, dont je m'en sentais exclu ou plutôt protégé, quand j'appartenais à ce monde que je me créais avec mes voitures, mes rêves et mes livres d'images. J'aurais voulu rester là-bas, loin des histoires d'argent, de malheur et de mort.

Dans la journée, Clovis a réussi à retrouver ses codes de carte bleue. On a acheté des billets de train en ligne avec le téléphone d'Achille. C'était bizarre de taper le nom de la gare la plus proche, de savoir où on irait cette fois-ci.

Du coup, c'est fait. C'est fini. Quand Clovis a terminé l'opération, il y a un truc qui est passé dans son regard, une lueur triste, un sanglot silencieux. Mais on s'était tous mis d'accord, c'était la seule chose à faire. Et puis, même Danielle a baissé les bras. D'ailleurs, ça m'a fait un choc. Tant qu'elle y croyait encore, je me disais que c'était pas fini, qu'il y avait encore de la route à faire défiler sous nos pieds, des horizons où on pourrait trimballer notre vieille carcasse de voiture, avec la casquette de David vissée dans le rétroviseur.

En réalité, la seule avancée qu'on a faite aujourd'hui c'est avec le camion de livraison d'un type qui a accepté de nous déposer dans la ville de départ de notre train du lendemain. La ville est plutôt sympa, les rues sont propres, les gens souriants, la chaleur supportable. On s'est pris deux chambres à l'hôtel, toujours avec l'argent de Clovis qui est le seul à pouvoir se le permettre. « Si mon père s'en rend compte, on est grillés. On est grillés, et on est morts » nous prévient-il à chaque nouveau paiement. Je me demande s'il n'a pas envie d'être grillé quelque part, de donner une raison à son père pour lui parler, même si c'est juste pour l'engueuler.

Il commence à se faire tard. Le soleil lance ses dernières lueurs aveuglantes par la fenêtre de la chambre que je partage avec Louise, et que tout le monde squatte. Ça pue dans la chambre, une odeur de transpiration et de poussière.

- Qu'est-ce qu'on va dire aux parents en rentrant ? questionne Louise affalée sur le canapé avec Achille. Pour les affaires, les papiers, les téléphones, le camping-car ?

- La vérité, répond Danielle. J'ai pas la force de chercher à leur mentir personnellement. Je me dis qu'ils ne se rendront peut-être même pas compte qu'il y a un problème quand je rentrerai.

Les parents de Danielle sont froids. Je les ai jamais vraiment aimés. On était rarement invités chez elle, on se contentait de rester dans le jardin. Il y avait comme une barrière infranchissable au seuil de la porte. La mère de Danielle est froide et le père de Danielle silencieux, je ne me souviens même pas du son de sa voix.

- Et toi Clo, tu vas expliquer comment à ton père que t'as perdu toutes tes notes de cours ? je demande en songeant que Danielle n'est pas la seule à avoir des problèmes parentaux.

Où est David ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant