IX. Ses hurlements silencieux

232 42 11
                                    







- Achille –


J'en reviens pas. J'en reviens pas qu'elle nous oblige à la traquer comme ça.

Louise est introuvable depuis une semaine, injoignable. De nos jours, ça n'existe plus d'être injoignable. On en est vite venus à la conclusion qu'elle nous évitait, même Léon. Il a pas voulu l'admettre au début, « elle a plus de batterie », « sa mère lui a confisqué son ordi », « elle a dû laisser son portable dans un coin ». Il cherchait des prétextes pour ne pas admettre la possibilité que Louise ne voulait pas le voir, c'est inédit pour lui. Louise et Léon, normalement, ça va ensemble. Et je crois aussi qu'il a mal, qu'il a cru ces deux derniers mois qu'il avait gardé au moins contact avec elle. Alors que c'était la seule qui s'éloignait vraiment. Il est inquiet Léon, et c'est franchement rare de le voir tourner en rond comme un lion en cage. Il y était depuis longtemps pourtant, dans sa prison, il avait juste mis du temps à s'en rendre compte, à sentir les grilles lui lacérer les bras, à voir qu'il était seul, que son geôlier l'avait abandonné.

On a dû marchander avec la mère de Louise pour obtenir des informations. Les deux premières fois, elle nous assurait que Louise n'était pas à la maison, qu'elle était souvent absente ces temps-ci. La troisième fois, Clovis lui avait préparé un gâteau, sa mère adore les gâteaux, tout ce qui comporte du sucre et du chocolat, qui est gras et qui fait oublier les tracas. On l'a écouté chuchoter, comme si elle avait peur des murs et de leurs oreilles, que Louise fréquentait un type qu'elle n'aimait pas beaucoup, un Luc. Ou Lucas. Non, Luc. Jamais entendu ce prénom. J'ai regardé Léon se décomposer. « C'est pas un chic type » qu'elle a dit, et j'ai intercepté le coup d'œil désolé qu'elle a envoyé à Léon. Il a détourné les yeux, il a fait semblant de ne pas le voir. La quatrième fois, c'est Danielle qui était de corvée et qui nous a fait une prestation digne d'un oscar. Elle a fondu en larmes, c'était pas super moral mais c'était super drôle. Là, sa mère a craqué, elle nous a dit qu'elle était à une soirée chez Marie Martin avec son Luc.

On l'aime pas trop Marie. Enfin, surtout moi.

- Super, fallait qu'elle aille faire copain-copain avec ton ex la mégère, râle Léon tout en marchant. Achille tu peux pas te taper des nanas sympas ?

- Ce serait pas si fun, je me contente de lâcher pour toute explication.

Marie est une petite blonde qui a une voix tout aussi forte que sa poitrine. J'avoue avoir un penchant pour les filles à grande gueule, mais je me suis vite rendu compte que ce n'était pas son tempérament qui insupportait les autres mais plutôt la violence de ses aigus.

La rupture ne s'est pas très bien passée. En bref, je me suis pris une gifle et depuis nos rapports sont un peu tendus.

- Pourquoi elle va chez Marie Martin ? s'interroge Clovis en fronçant les sourcils. Elle ne l'aime même pas !

- Sûrement parce que Marie a toujours été la meilleure organisatrice de soirée du lycée, fait remarquer Danielle. Je pensais que ses études de médecine la calmeraient. Apparemment pas. Elle continue de vouloir entretenir son image de lycéenne cool je suppose.

On ne prononce plus un seul mot jusqu'à ce qu'on arrive dans sa rue, que l'on commence à entendre la musique, que l'on voit les lumières d'une fête déjà bien démarrée. On se regarde tous en tentant de se donner du courage.

J'aurais aimé ne jamais avoir à retourner dans des fêtes organisées par les gens du lycée, par les gens de cette trop petite ville, dans ses fêtes où je finissais toujours la tête dans les chiottes ou à poil dans un jardin. J'étais malheureux. Sans doute que je le suis encore, mais aujourd'hui j'ai passé l'âge de faire prétendre aux autres que ce n'est pas le cas. J'ai passé l'âge de tenter de me faire accepter, de tenter d'agir comme eux pour voir si cela me rend heureux. Je n'ai jamais aimé ces fêtes. Il y a trop de monde, trop de monde que je n'aime pas. Ces filles qui raccourcissent leurs jupes, ces garçons qui rembourrent leur pantalon. Ça prétend, ça joue un rôle pour se faire accepter. Aujourd'hui, j'aime faire la fête pour moi. J'aime danser pour moi. J'aime boire pour moi. Alors que ce soit en soirée ou en journée, je n'y accorde plus d'importance.

Où est David ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant