- Clovis -
La gare est pleine. Des gens portent leurs sacs à dos, tirent leurs valises, se poussent et se réjouissent. Pour Léa, c'est différent. Elle a le visage fermé, elle n'est pas pleine d'espoir comme ceux qui entament un voyage, elle a la désillusion de la fin.
Je l'ai accompagné seul à la gare, je crois que c'était important, je crois que c'était mieux. Juste elle et moi. Le panneau indique l'horaire : 20h37 et la voie : 2. Je tire sa petite valise violette en plastique et elle prend de l'avance. Elle ne se retourne pas. Elle marche jusqu'au quai et je regarde ses cheveux qui se balancent dans le vent.
Le train est là, devant elle, elle inspire un grand coup avant de me faire face, comme si c'était une épreuve. Ça me fait un peu mal. Je me sens comme un fardeau, comme un pansement qu'on doit arracher. Je me sens pas Clovis, ce type qu'elle a embrassé à sa soirée d'anniversaire, ce type qu'elle a suivi pour voyager en camping-car.
Elle récupère sa valise et je sais plus quoi dire. Je sais pas. « Clovis, entre nous ça ne fonctionnera pas ». Ce sont ses mots. Elle a dû bien les choisir. Moi, j'ai moins de cinq minutes pour trouver un truc intelligent à lui dire. Je sais pas, je reste les bras ballants, un peu con. Je repense à ses excuses, à ses phrases vides, à ses explications qui n'en sont pas. « On habite trop loin, et je sais pas... je crois qu'on va juste se faire du mal. Je peux plus supporter de perdre quelqu'un d'autre ». Mais le résultat est là, elle est devant la porte de la voiture 14 avec sa tristesse et ses regrets, elle va monter dedans et ce sera une perte. Est-ce que ça fait moins mal maintenant que dans quelques jours, quelques semaines, quelques mois, quand je l'aimerai peut-être plus, quand je la connaîtrai encore mieux ? Encore une fois, je sais pas. En fait, si, je sais. Mais ça veut rien dire. David aussi, j'aurais moins souffert si je l'avais pas connu. Ça n'a pas de sens, je changerai rien pourtant. Je l'effacerai pas. Dans quelques mois, sûrement qu'on aurait rien voulu effacer non plus. « Tu me suivrais pas Clovis, tu le sais bien » finit-elle. C'est la première chose qu'elle dit qui a un sens pour moi. Non, je ne la suivrai pas. C'est eux, ça a toujours été eux.
Elle monte une première marche, j'ai comme un mouvement du bras pour la retenir, un petit tic instinctif que je regrette immédiatement. Je fais mine de me gratter la tête pour faire distraction. Elle fait mine d'être occupée à monter sa valise pour me laisser ce dernier cadeau de ne pas relever mon geste désespéré. C'est élégant. Léa est élégante, même dans la rupture. Je suis blessé mais objectif.
Encore une marche, encore un pas qui renforce la distance. Ça y est, elle est montée dans le train, elle me surplombe d'une tête. Elle replace une mèche derrière son oreille en m'adressant un sourire, c'est pour que je garde une dernière belle image d'elle. Pas que je m'en souvienne comme cette fille qui m'a quitté en larmes dans ce lit qu'on a partagé.
On sent un malaise maintenant, il nous traverse instantanément. Le moment est arrivé, j'en ai conscience, elle va me dire quelque chose, un dernier truc, ça pend de ses lèvres. J'y suis accroché, j'attends, j'attends et j'appréhende le moment où elle va se retourner et que, ça y est, ce sera fini. Fini comme un dos qu'on tourne, fini comme des routes qui se séparent, fini comme des cœurs qui s'éloignent.
- Merci pour tous ces souvenirs, me dit-elle. Je retourne à la vie réelle, Clo, il faut bien.
- C'était qu'un cauchemar tout ça alors ?
- Non, pas un cauchemar. Je suis désolée, me répète-t-elle pour la centième fois.
- C'est la vie, tu sais, je répète à mon tour.
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Où est David ?
General Fiction"Venez, on se tire loin. Loin de tout. " Il est parti. David les a quittés. Il les a laissés derrière, tous les cinq, lui il a pris de l'avance. Il a toujours été en avance sur tout David, et en particulier toujours sur eux. D'abord il y a...