2. L'attente

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Ce furent les pires vacances de toute ma vie.

Le lendemain de la fête d'Alyzée, toute la petite famille partit en Bretagne comme prévu. Et comme prévu, il y eut une semaine de soleil, puis trois semaines de pluie et de parties de Monopoly, ponctuées de bonnes grosses crêpes au sarrasin. À la fin du mois, mes cuisses avaient presque doublé de volume. Merci la Bretagne ! Ensuite, mes parents retournèrent à Nantes et firent un détour pour nous déposer à Blois, chez ma grand-mère Mannie (la mère de ma mère). Il y eut d'abord une semaine de pluie, durant laquelle Mannie, qui a grandi en Espagne, nous bourra de tortillas aux oignons et aux patates arrosées d'huile d'olive, histoire qu'on tienne le coup en zonnant devant la télé - activité éreintante s'il en est. Ensuite, il y eut trois semaines de soleil. Mais comme mes cuisses, entre-temps, avait presque quadruplé de volume, je boycottai le maillot de bain et passai le plus clair de mon temps sous le parasol du jardin à faire des mots croisés... et à surveiller mon portable. Jusqu'au 21 août, du moins. À cette date fatidique, mon forfait me laissa en rade, toute seule sur ma serviette au milieu de la pelouse, avec mes cuisses énormes, mon coeur gros comme une tortilla aux patates, et mon iPod vissé sur les oreilles pour ne pas entendre Salomé rire aux eclats dans la piscine.

Pas un appel. Pas un texto. Rien. Pas un signe de Julien pendant ces deux interminables mois de vacances.

Les premiers jours, je ne m'étais pas trop inquiétée. On avait passé une soirée magique le 2 juillet, chez Alyzée. On avait fait l'amour, puis on était restés blottis l'un contre l'autre sur le lit, au milieu des draps défaits, à parler, à s'embrasser... On était tellement tristes à l'idée de se quitter qu'on avait même refait l'amour ! J'étais rentrée à 2 heures du matin, pour respecter l'ultimatum de mes parents, mais je serais bien restée toute la nuit dans ses bras. Le 9 juillet, une semaine exactement après cette soirée de rêve, comme je n'avais pas de nouvelles, je m'étais décidée à lui envoyer un texto. Un truc simple, léger, pour ne pas faire la fille collante.

salu, suis en Bretagne, i fé bo, penç fort à toi, gro bizou

Ensuite, j'avais compté les jours. Un, deux, trois, quatre... il y en avait eu 56 au total avant la rentrée. Cinquante-six jours, soit 1 344 heures et 80 640 secondes sans nouvelles de Julien. Ça fait beaucoup.

Au bout de quelques jours d'attente, j'avais eu un gros doute. Je m'étais dit que c'était mon nouveau portable qui n'était pas au point. Peut-être que j'avais mal fait les réglages. Je m'étais tapé tout le mode d'emploi en français, en anglais et même en.espagnol au cas où - faut voir les progrès que j'ai faits en langues cet été ! J'avais bien essayé de déchiffrer la partie en japonais mais bon... il me manquait quelques bases et je n'avais pas d'Assimil sous la main. Ensuite, je m'étais dit qu'il y avait peut-être un souci avec l'espace mémoire. Mais vu que l'engin était neuf et que j'effaçais tous les textos d'Alyzée au fur et à mesure que je les recevais, je n'y avais pas cru trop longtemps. J'avais fini par appeler l'opérateur pour vérifier qu'il n'y avait pas de problème quelconque avec mon forfait, des messages en attente. Non. Rien. Il avait bien fallu alors que je me rende à l'évidence : Julien faisait silence radio, un point c'est tout.

Il ne me répondait pas ? Et alors ! Il avait peut-être oublié son portable à Nantes avant de partir en vacances. Ou bien il se l'était fait sauvagement arracher sur la plage, pile après m'avoir écrit un message enfiévré et juste au moment où son doigt s'apprêtait à appuyer sur la touche "envoi". Ou peut-être qu'il n'avait plus de crédit. Ou encore ses parents ne le laissaient pas une minute tranquille (le père de Julien est le proviseur du lycée et sa mère une vraie bourgeasse, alors ça doit pas rigoler tous les jours à la maison). Ou, tout simplement, me répétait une petite voix dans ma tête, il ne pense pas du tout à toi. J'essayais de la chasser cette petite idée, mais elle revenait à la charge en permanence, elle me grignotait de l'intérieur, elle prenait de plus en plus de place en moi.

Penchée sur mes mot croisés dans le.jardin de Mannie, j'avais refait tout l'historique de nos derniers moments passés ensemble. J'avais tout décortiqué et passé le film de notre soirée chez Alyzée en boucle dans ma tête. Quelque chose m'avait chiffonnée ce soir-là mais je ne me rappelais plus vraiment quoi. À force de fouiller, j'avais fini par mettre le doigt dessus. Après qu'on avait fait l'amour la première fois, on était restés étendus l'un à côté de l'autre. Puis, je lui avais demandé ce qu'il avait prévu cet été.

- Rien de spécial. Des vacances avec mes vieux. Et toi ?

- Moi pareil. Enfin presque. Je vais passer un mois en Bretagne avec mes parents et ma petite sœur, et puis un mois à Blois avec ma grand-mère et re-ma petite sœur. C'est trop les boules.

Ça l'avait fait rigoler. Alors j'avais ajouté : "On pourra s'appeler... s'envoyer des SMS...", histoire de lui tendre une perche. Mais il avait rigolé de plus belle. Et là, avant de m'embrasser à nouveau et de me lancer son fameux sourire en coin qui avait réduit mon cerveau en compote aux pruneaux, il avait prononcé une petite phrase qui m'avait fait tiquer, sur le moment : "En même temps, tu sais, ça passe vite l'été... c'est que deux mois."

C'est peut-être passé vite pour Julien. Mais pour moi, c'est resté carrément en travers de la gorge.

Clem maman trop tôtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant