8. L'heure de vérité

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Octobre s'éteignit dans les pluies de novembre. Mon ventre s'arrondissait de plus en plus. Pour le cacher, j'étais forcée à présent de me balader en sweat toute la journée. Plus sexy, tu meurs ! Mais même avec le sweat, j'avais l'air grosse. Ça se voyait trop que j'étais pas comme avant. Je trichais en fourrant mon iPod et mes écouteurs dans les poches ventrales de mes sweats, pour expliquer le renflement. Mais je savais que ça ne ferait plus illusion trop longtemps...

Ce qui me bluffait, c'est que personne ne se rendait compte de rien. J'avais moins la gerbe maintenant. Mais je me traînais tout le temps avec une tête de déterrée, des cernes jusqu'aux genoux et un teint bizarre, un peu cireux. Personne ne me disait rien. Et si je me mettais un gros nez rouge et des spaghettis dans les cheveux, est-ce que les gens le remarqueraient ? C'est bête mais, depuis tous ces événements, y'avait des trucs que je ne voyais pas avant et qui me sautaient aux yeux. L'indifférence, surtout. Ça, c'était quelque chose. Tout le monde en tient une sacrée couche. Même moi, si ça se trouve...

Par exemple, qu'est-ce que j'en savais de  la vie de mes parents ? Est-ce qu'ils faisaient l'amour ? Je les entendais jamais. Mais bon, comme j'existe, ça avait bien dû arriver... Sans compter Mémé. Ma mère, elle avait l'air plus stressée qu'avant, mais plus heureuse aussi. Je la regardais d'un autre oeil à présent. J'essayais de comprendre des choses.  Je me posais des questions. Et mon père... J'avais compris qu'il avait du mal avec le nouveau boulot de maman. Ça le faisait chier. Il aurait bien aimé, lui, continuer à être le seul à ramener le mammouth à la maison et s'affaler dans son fauteuil tous les soirs, sans lever le petit doigt. Maintenant, c'était le partage des tâches. Fallait qu'il mette la main à la pâte. Trop dur ! Pour compenser, il allait de plus en mlus faire ses joggings de ouf après les cours.  Il s'entraînait pour le marathon de New York,  qu'il disait. C'est ça, ouais, le marathon de New York... Et moi j'allais escalader le Kilimandjaro ! Mais bon, je savais qu'il allait faire son jogging avec son grand copain le proviseur. Le père de Julien, donc. Quand je les voyais partir ensemble, après le lycée, ça me foutait les jetons, quelque chose d'épais !

J'étais retournée au planning. Je savais pas trop pourquoi, mais bon. La femme aux cheveux noirs m'avait reçue. On avait un peu parlé. Puis une gynéco m'avait examinée. Elle m'avait dit que tout allait bien. Qu'il faudrait juste que je pense bientôt à faire ma deuxième échographie.  "Vous en êtes à la dix - septième semaine", m'avait-elle annoncé.

Dix-sept semaines,  c'est énorme. Dix-sept semaines que ce truc poussait en moi. Je me demandais à quoi il ressemblait, maintenant. Et puis, il y a dix-sept semaines,  j'étais dans les bras de Julien. Il me regardait gentiment, il m'embrassait... Ça me faisait encore mal d'y repenser.

Aujourd'hui, Julien, il embrassait Léna. À dix mètres devant moi, en plein hall du lycée.  C'était sympa à regarder. La pauvre dinde se trémoussait comme si elle allait exploser. Ça mettrait des plumes partout, attention !

- Non, mais je te jure... je crachai dégoûtée à Alyzée qui observait le spectacle à côté de moi. Tu le vois, là, le blaireau qui se laisse envoûter !

- Je croyais que tu le kiffais plus, Julien ?

- Pfffh... Non, mais c'est elle, là, avec sa face de dinde aux marrons !

Quand on parle de basse-cour... Léna nous avait vues et elle fonça droit sur nous.  Alyzée plaqua un sourire méprisant sur ses lèvres - genre, comme si elle respirait une mauvaise odeur mais voulait rester polie. Léna la contourna et m'attaqua direct :

- Dis donc,  t'as pas un peu pris ? Fais gaffe ! À notre âge, les kilos, c'est pareil que les boutons, c'est dur à faire partir...

Je la regardai avec des yeux complètement inexpressifs... un peu comme ceux des psychopathes,  si vous voyez ce que je veux dure. Elle enchaîna :

Clem maman trop tôtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant