7. Un poids à porter

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Je passai évidemment une nuit pourrie, à regarder le plafond obscur de ma chambre qui ne m'apportait pas de réponse. Qu'est-ce que j'allais faire maintenant ? Qu'est-ce que j'allais devenir ? Je tournais et retournais ces deux questions dans ma tête, en me tournant et me retournant dans mon lit. Je n'arrivais pas à penser à autre chose. Je n'arrivais même pas visualiser l'avenir, ce qui allait se passer dans les prochains mois. J'étais bloquée. C'était comme si je refusais de voir, de penser. J'aurais tellement aimé pouvoir m'endormir, oublier ne serait-ce qu'un instant. Être libre et insouciante, même une seconde, comme avant.

Avant. Maintenant, c'était terminé ce temps-là. Comme je le regrettais. Même mon été pourri en Bretagne, puis à Blois, me semblait à présent le paradis. C'était autrefois. Avant.

Lorsque l'aube commença à blanchir mon plafond, que dehors j'entendis le bruit de la circulation se réveiller, la vie qui recommençait, j'en étais toujours au même point. Je me levai lourdement et m'observai dans la glace. J'avais un teint de décalée. Je m'écartai de quelques pas et me plaçai de profil. Lentement, je relevai le t-shirt de mon pyjama, découvrant mon ventre nu. Le renflement était là. J'avais presque l'impression qu'il avait grossi au cours de la nuit. J'en croyais pas mes yeux. Et dire qu'il y avait quelque chose, là-dedans, qui vivait. C'était incompréhensible. J'avais entendu son coeur. Mais je n'arrivais pas à l'imaginer. Je bloquais total. Pour moi, ce n'était pas un bébé -ce mot me faisait hurler intérieurement -, c'était juste un truc, un virus, un corps étranger, une sorte d'alien horrible et monstrueux qui poussait à l'intérieur de moi. Mais ce n'était pas moi. Je posai la main sur mon ventre, timidement. Ma peau était chaude et veloutée. Non, ce n'était pas moi.

À ce moment-là, ma mère toqua à la porte de ma chambre. Je rabattis illico le T-shirt sur mon ventre, en lançant vers la porte un regard de bête traquée. Ma mère abaissa la poignée... mais elle résista. Ah oui, c'est vrai, j'avais fermé ma porte à clé. Depuis deux soirs, je prenais cette précaution.

J'avais bien fait.

- Clem ? (Ma mère s'énervait sur la clenche de la porte.) Tu vas être en retard, dépêche-toi !

Je me jetai sur un vieux sweat qui traînait sur mon lit et l'enfilai en vitesse.

- Oui, oui, j'arrive!

Mais je m'attardais encore devant le miroir, prenant soin de bien rabattre les pans du sweat, revérifiant mon profil.

J'allai finalement ouvrir la porte.

Ma mère attendait derrière, comme une tigresse en cage.

- Mais c'est quoi cette nouvelle manie de t'enfermer à clé ?

J'avais libéré le fauve.

- Oh ça va ! je répondis, aimable comme un pitbull. J'ai bien droit à un peu d'intimité, non ?

- C'est ça, oui... répliqua ma mère. Allez, grouille-toi maintenant. Habille-toi !

Et elle tourna les talons. Charmant ! Un prof de sport à la maison, va encore. Mais deux... Et d'abord, qu'est-ce qu'elle avait à être si stressée ? Ce n'était pas son habitude.

La journée ne continua pas mieux qu'elle avait commencé. En cours, je décrochai dès la première seconde. Impossible de me concentrer. La joue appuyée sur mon coude, je regardais le soleil qui jouait entre les stores et traçait des lignes bizarres sur le linoléum de la classe - il faisait donc beau aujourd'hui. Je ne l'avais même pas remarqué, en marchant vers le lycée. Un livre a couverture rouge, qui s'écrasa sur mon bureau, me tira de ma rêverie. Éberluée, je contemplai l'objet une seconde, comme un ovni.

- Non, mais ça va pas ! je criai ensuite.

Je tournai la tête. Oups ! Je venais de hurler sur Mlle Lecoutre. Et elle n'avait pas l'air contente.

Clem maman trop tôtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant