4. Nausée

1.8K 41 12
                                    

Le mois de septembre s'écoula, jour après jour, monotone et pluvieux. Au lycée, Julien et moi faisions semblant de ne pas nous voir. À peine si l'on se saluait poliment quand nous nous retrouvions nez à nez, au détour d'un couloir. Je feignais l'indifférence. En réalité, je n'en menais pas large.

Lorsque j'étais revenue du lycée, le fameux soir de la rentrée, j'étais montée directement dans ma chambre. Mais ma mère m'avait suivie et avait tenté de me consoler. Elle avait compris que je venais de me faire larguer par un mec - mais je ne lui avais pas dit qui. Le proviseur est pote avec mon père, et comme Julien est son fils, ça craint. Je n'avais pas envie qu'il sache et commence à me poser des questions. Ou pire, aille baver auprès du père de Julien et que tout cela remonte aux oreilles du principal intéressé. Question psychologie, mon père, il en tient une couche plutôt mince. Ma mère, par contre, elle se débrouille mieux. Ça m'avait fait du bien de pleurer dans ses bras. Elle avait traité les mecs de lâches et de salauds : "Tous les mêmes !" Et avait conclu : "Un de perdu, dix de retrouvés." Mais ça, c'est juste un dicton à la con. Moi, j'avais pas envie d'en retrouver un seul, de mec. J'étais juste dégoutée. 

Pour ne rien arranger, l'état de mes intestins ne s'était pas vraiment amélioré. Ça devait être l'effet papillon de la rupture, un truc psychosomatique. J'avais la gerbe tout le temps. Enfin, surtout le matin. J'essayais de pas trop y penser. Je ne voulais pas y penser.

Octobre pointa le bout de son nez, bien humide. Une semaine passa, puis deux... En cours, Mlle Lecoutre confirmait chaque jour sa réputation de casse-bonbons. La semaine précédente, elle nous avait fait rédiger notre première disserte sur un poème de Mallarmé, un truc de folie, complètement incompréhensible, avec une histoire de dés ou de je ne sais quoi. J'avais vaguement compris que ça parlait du hasard. Mais j'attendais le rendu de ma copie sans trop d'illusions. Le bac de français, c'était pas gagné. Si seulement je pouvais un peu plus me concentrer... Tiens, voilà que ça me reprenait. La nausée. Mlle Lapoutre avait commencé à circuler dans la classe et elle était plutôt remontée.

- Je ne m'attendais au pire, mais j'étais encore loin de la vérité !

Elle piaillait avec sa petite voix revêche (rendue comique par une sorte d'accent méridional qui ne cadrait pas du tout avec son personnage). Et elle commença le décompte du loto : "Briand : 4. Leduc : 3. Mazard : 7..."

J'aurais bien aimé me retourner pour compatir avec mes "povres" camarades illettrés (histoire de parler comme à Marseille), mais au lieu de ça, je fonçai vers la corbeille à papier, près de la porte...

C'est sympa de vomir en classe, devant tout le monde. T'as plus de soixante yeux écarquillés braqués sur toi pendant que tu t'essuies le dégeulis sur le menton. Et une Mlle Lecoutre outrée et pas compatissante pour un sou, pour enfoncer le clou.

- Ah ça, c'est élégant, Mlle Boissier... Allez, à l'infirmerie, vite !

Elle me fit signe de déguerpir, comme on chasse une mouche.

- Ah... Mlle Boissier, n'oubliez pas d'emmener la poubelle avec vous s'il vous plaît.

Je m'exécutai sous les rires de la classe. Heureusement qu'il y avait Alyzée pour m'accompagner.

Le lendemain matin, au réveil, ce fut pire encore. Je croyai que ça allait finir par se calmer, cette nausée, mais c'était tout le contraire. Chaque jour qui passait, ça prenait de l'ampleur. Je n'avais plus d'appétit. La simple vision d'une tartine de Nutella me retournait à présent l'estomac - c'est dire à quel point j'étais atteinte. Je devais avoir chopé un sale virus. C'était peut être ce salaud de Julien qui m'avait refilé la myxomatose... ou la mucoviscidose... enfin, la maladie du baiser,quoi. D'ailleurs, j'avais de plus en plus de mal à me lever le matin. Je me sentais fatiguée tout le temps. C'était la maladie du baiser, pas de doute.

Clem maman trop tôtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant