Clem maman trop tôt

6. Coincée

Le lendemain, après les cours, je me débrouillai pour aller au planning familial. J'avais vu l'adresse sur une des brochures du docteur Bertin. J'avais appelé. Ils m'avaient dit que je pouvais passer, même sans rendez-vous, et que c'était gratuit et complètement confidentiel. Ils allaient me faire une échographie (et pas une egrographie, j'en apprenais tous les jours) et puis, on pourrait fixer une date pour l'avortement. Ouf. Je commençais à reprendre espoir. J'allais peut-être pouvoir me tirer de ma merde sans trop de dégâts.

Alyzée m'accompagnait. Heureusement, parce que j'étais pas trop rassurée. Sur le chemin, je n'arrêtais pas de regarder partout autour pour voit s'il n'y avait personne qui nous suivait. Mon père, par exemple. J'imagine l'embrouille. Tomber nez à nez avec le paternel à la porte du planning !

- Je peux savoir ce que tu fais là, Clem ?

- Oh rien... je me balade ! Je prends un peu l'air après les cours.

C'est ça, ouais. Je prends vachement l'air.

À l'intérieur, c'était un peu relou comme ambiance. Y'avait des filles que je ne connaissais pas (encore heureux !) assises sur des chaises en plastique dans la salle d'attente. Elles n'avaient pas l'air super jouasses. Je devais leur ressembler, vu la tête que tirait Alyzée quand elle me regardait. Au mur, c'était plein de posters sur les MST. Super ! ça met tout de suite à l'aise. Et puis, évidemment, des trucs sur la contraception. Sans commentaire... Mes yeux s'attardèrent sur une affiche qui parlait du droit à l'IVG. Et puis une dame en blouse blanche m'appela. Direction, la salle d'écho !

La dame me demanda de me mettre en culotte et de m'allonger sur la table. J'obtempérai. Le papier crissa sous moi. Comme deux jours avant, chez le docteur Bertin. Je n'aimais pas ce petit bruit, ça me donnait un drôle de pressentiment. Ensuite la dame me demanda de soulever mon t-shirt jusqu'en haut de mon ventre. Elle saisit un flacon et me dit :

- Attention, ça va être un peu froid.

Puis elle me versa une sorte de gel bleu hyper glacé au bas du bide. Je sursautai. C'était quoi, ce machin ? Du sang d'extraterrestre ?

- Je vous avais prévenue, c'est un peu froid, reprit la dame en souriant. Mais ses yeux ne souriaient pas. Ils avaient l'air fatigués. Elle avait dû en voir passer des minettes comme moi, qui sursautaient quand elle leur étalait son gel. Des filles enceintes qui ne voulaient pas garder leur môme et qui venaient ici en lousdé.

La dame prit ensuite une sorte de long bidulzbba bout rond et commença à me le passer sur le bas-ventre, en appuyant pas mal. Qu'est-ce qu'elle faisait ? La dame n'était pas du genre causant. Elle gardait les yeux fixés sur un écran d'ordi à côté d'elle. Et moi, je n'osais pas trop poser de questions. Au début, il n'y avait que du noir sur l'écran et puis, une image apparut, en gris et blanc. C'est à ce moment-là que j'ai compris ce que c'était, une échographie. J'ai tourné la tête vers le mur, à ma droite, et je n'ai plus bougé. Je n'avais pas envie de voir le truc, là, sur l'écran.

La dame n'a rien dit et je n'ai rien demandé. Elle s'est contentée de griffonner sur son petit carnet et d'appuyer à plusieurs reprises sur le clavier de son ordi. À la fin, elle m'a donné du papier pour que j'essuie le gel. J'ai dit merci, je me suis rhabillée et j'ai rejoint Alyzée dans la salle d'attente.

Après, il a fallu patienter un bon bout de temps. Je surveillais l'heure sur la pendule accrochée au mur. J'espérais que ça n'allait pas encore durer des plombes. J'avais dit à ma mère que j'irai chez Alyzée après les cours pour préparer un exposé. C'était tout à fait crédible, j'allais souvent chez Alyzée. Mais pas que pour préparer des exposés... Jusqu'à présent, mes parents m'avaient toujours fait confiance. Une pointe de culpabilité s'insinua en moi.