5. Le secret

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Je suis sortie de chez le docteur  Bertin quelques minutes plus tard. J'ai marché comme un zombie, vers le lycée. Le soir, je suis rentrée sans m'attarder. Je n'ai parlé à presque personne de la journée, prétextant que j'étais malade, que je ne me sentais pas très bien. J'ai zappé le repas du soir et je me suis terrée au fond de mon lit. Là, j'ai regardé le plafond, longtemps. J'étais dans le noir mais il y avait la lumière du lampadaire de la rue qui perçait par la fenêtre, ça dessinait des ombres bizarres sur les murs. Les mêmes ombres que je vois, en m'endormant le soir, depuis que je suis toute petite.

À côté de moi, sur la table de chevet, les aiguilles lumineuses de mon réveil Hello Kitty brillaient dans l'obscurité. Chaque fois que la grande aiguille se décalait d'une minute, elle lâchait un petit : "clic". Clic... clic... clic... ça faisait dans la pièce. Depuis le soir de mes sept ans, où mes parents m'avaient offert ce réveil, ces petits clics me berçaient. Mais aujourd'hui, je n'arrivais pas à trouver le sommeil. Clic, clic, clic, ça faisait dans ma tête. Le temps tournait. Clic, clic, clic.

À chaque clic, je savais maintenant que la chose qui était à l'intérieur de mon ventre grossissait un peu plus. À chaque clic, j'avais l'impression de m'éloigner un peu plus de cette chambre où j'avais grandi, de ma vie d'avant, de moi-même. J'étais terrorisée.

Après la révélation, pendant que je me rhabillais, le docteur m'avait raconté plein de trucs. Il avait repris son laïus sur le "secret professionnel", qu'il ne dirait rien à mes parents. Et puis il m'avait parlé de choses compliquées qu'il fallait faire... une échographie ou un truc du genre... que c'était urgent. Il m'avait donné des brochures que j'avais fourrées dans mon sac. Il me parlait mais moi je l'entendais à peine. Tout était devenu flou. Comme irréel. Non, rien n'avait plus de réalité. À part ce truc qui poussait dans mon ventre.

Dans le noir, sur mon lit, j'ai posé une main sur mon ventre. Je ne sentais rien du tout. J'étais dans un cauchemar et j'allais me réveiller.

Finalement, je me suis endormie, tard dans la nuit. Le lendemain matin, quand mon réveil a sonné, j'ai ouvert les yeux. Et aussitôt, j'ai compris que ce n'était pas du tout un cauchemar. C'était la réalité. J'étais dans une monumentale merde noire.

Je me suis levée et j'ai tâtonné jusqu'à mon armoire. Fallait agir, rassembler ses idées. Mais j'arrivais pas trop à faire le tri. J'avais la sensation que mon cerveau s'était transformé en coton. J'ôtai ma nuisette et tandis la main vers mon jean. Au même moment, j'interceptai mon reflet dans la glace.

Mon ventre. Il était un peu renflé. Et moi qui croyais que c'était à cause des tortillas de Mannie et des pots de Nutella que je m'enfilais. Tu parles ! Je connaissais le responsable,  maintenant. C'était cet enfoiré de Ju... Non, fallait pas que je pense à lui. Trop compliqué.  Le docteur Bertin avait dit un truc à propos de lui. Il avait dit : "Il faudrait en parler au père. "

Le père ! Si Ju... si l'Enfoiré était le père,  ça voulait dire que moi, j'étais... la mère.  J'étais en pleine hallu. Ouais, j'hallucinais total.

J'enfilais mon jean. C'est bon, je rentrai encore dedans. Faut dire qu'il était taille basse... Je choisis un t-shirt bien large pour mettre dessus, genre tunique. Et puis,  ma petite veste en jean, sans manches, pour compléter le tout. Je vérifiai mon profil dans le miroir. Nickel. J'avais juste l'air d'une ado normale, à la cool. L'ado que j'avais été jusqu'à hier.

Maintenant, fallait descendre, affronter les parents. Prendre le petit déj' l'air de rien, normale. Surtout avoir l'air normale, c'était mon idée fixe. J'y voyais cpas très clair encore, je ne savais pas comment j'allais m'y prendre. Mais il y avait les adresses filées par le docteur Bertin dans mon sac. Je trouverai bien un moment dans la journée pour les regarder, passer un coup de fil. J'allais m'organiser. Il y avait deux choses dont j'étais sûre. Primo, j'allais pas garder le bébé.  J'irai me faire avorter fissa ; on avait eu quelqu'un qui était venu pour en parler l'année dernière au lycée. Enfin, pour parler de contraception, mais ça c'était trop tard. Putain,  quelle conne j'avais été. Mais quelle conne !!! Je me détestais.

Clem maman trop tôtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant