La fleur sur la colline

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"Les arbres se font de plus en plus denses depuis que l'on a quitté la nationale pour prendre les routes de campagne. Mon père sifflote joyeusement un vieux tube qu'il devrait avoir honte de connaître. Son GPS ne lui sert plus à rien depuis plus de dix kilomètres mais il semble savoir où aller. Tant mieux car je ne me souviens même plus du nom du village paumé où l'on va habiter. J'ajuste mon casque et augmente le son de mon iPad. Apocalyptica tourne en boucle dans mes oreilles depuis une heure au moins. Et je n'ai pas adressé la parole à mon père depuis deux semaines."

J'étais recroquevillé sur le siège de la voiture, les bras croisés, la tête buté des mauvais jours et mes yeux ne quittaient pas le paysage qui défilait à toute allure. Jamais je n'ai voulu venir dans ce trou pourri, perdu en plein milieu de la France. Mon père, Bastien, avait obtenu un poste de généraliste et avait sauté sur l'occasion pour tout recommencer à zéro. Comme si je n'avais pas été viré du lycée. Comme si je n'avais pas passé les derniers mois entre le poste de police et la garde à vue. Il était plus simple de recommencer, laisser les éternelles disputes derrière nous. Tellement plus simple... pour lui.
Enfin. Le village n'était plus très loin. La forêt faisait parfois place à des collines verdoyantes ou paissaient des vaches ou des chevaux. Certains terrains étaient vide, on pouvait se demander pourquoi. D'autres étaient emplis de troncs d'arbres et d'énormes blocs de pierres.
"On est bientôt arrivé Gab" me dit mon père.

Je  l'ignorai sciemment et ouvrai la vitre pour m'y accouder et regarder le morne paysage. Dans mes oreilles, Toxic reprit par Yael Naime débutait. Je ne me souvenais pas avoir téléchargé ce morceau. Encore un coup de mon ex.
Cette fille pensait que j'étais aussi toxique que le disait la chanson. Peut être bien. J'étais un pro pour intoxiquer les filles. Les filles, les garçons, moi.

Soudain, au sortir d'un bois, sur le mont d'une colline, je vis quelque chose ondoyer.
Une fille se tenait debout, droite comme un i sur l'herbe verte et sa robe blanche flottait autours d'elle comme les pétales d'une fleur. Cela ressemblait à un tableau vivant. Le vent qui s'engouffrait dans sa robe avait des reflets mordorés, rouge, orangés. Le temps semblait s'être arrêté partout sauf autour d'elle. Mais tout bougeait dans une lenteur langoureuse. Les cheveux noir de la fille volaient autour de son visage. Ses yeux étaient fermés. Et ses mains dansaient autours du vent qui l'entourait. Comme si le vent avait été un instrument avec lequel elle jouait. La musique dans mes oreilles devint lointaine, et, en même temps, accompagnait ma vision.
Les yeux de la fille s'ouvrirent d'un coup et se fixèrent sur moi avec un intensité qui me fit frissonner. Ses yeux étaient d'un noir saisissant. Deux cratères qui me jugèrent avant de disparaître. La fille tourna les talons et sauta littéralement dans le sol.

Je criais à mon père de s'arrêter sur le bord de la route. Il fut tellement surpris qu'il obtempéra sans poser de question. Cela n'avait pas duré plus de quelques secondes. Pourtant, j'avais l'impression d'avoir couru un marathon. Mon coeur cognait dans ma poitrine comme jamais, mon souffle était court et en sortant de la voiture pour scruter les environs, je me rendis compte que j'avais un point de côté. La fille à la robe blanche n'était nulle part. Et le vent étrange qui l'enveloppait avait disparu. Je ne sentais même pas la moindre brise.
Est-ce que j'avais rêvé cette fille?
Mon père me regardait avec inquiétude, de l'intérieur de la voiture. Il devait me prendre pour un fou. Mais je ne souhaitais pas me justifier. À quoi bon expliquer. Je ne savais même pas ce que j'avais vu.

Je suis retourné dans la voiture et nous avons continué la route jusqu'à arriver au Village de... de quoi déjà? Bof on s'en fout.

La sorcière de la plaineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant