La sorcière de la plaine

L'heure du crime

Elle portait la même robe que tout à l'heure, mais ses cheveux étaient tressés sur le côté. Ses yeux étaient magnifiques, ils me rappelaient quelque chose, mais impossible de me rappeler quoi, et me fusillaient. Je me redressais lentement et m'éclaircis la gorge avant de me présenter.
- Je sais qui tu es. Me coupa-t-elle sèchement.

Elle passa devant moi en me lançant un regard de reproche. Mais pourquoi de reproche ? C'était la première fois que je lui adressais la parole, je n'avais rien à me reprocher.
Je terminai ma cigarette en la regardant s'éloigner et entrer dans la forêt.
Alors que les arbres commençaient à l'engloutir, j'écrasais mon mégot et la suivit silencieusement. Je ne croyais pas vraiment à cette histoire de sacrifice, mais j'étais extrêmement curieux de ce qui pouvait l'amener en forêt à une heure aussi avancée. Je regardais ma montre. 23h52. Bientôt minuit.
-L'heure du crime. Murmurai-je pour moi-même dans un sourire. 
Elle disparaissait presque à travers la végétation dense des bois. Mais heureusement pour moi, la lune était pleine et j'avais une excellente vue. Elle ne pouvait pas m'échapper. Son périple ne fut pas bien long, elle marchait vite et semblait savoir où aller. Au bout d'une dizaine de minutes, elle traversa un petit champs de fougères et se retrouva sur une sorte de plaine qu'entourait la forêt. Sur cette plaine il y avait un verger, des plantes de toutes sortes, des fleurs des quatre coins du monde. Il y avait même des fleurs tropicales qui n'auraient jamais pu survivre aux températures, mais elles se tenaient droites et fortes sur leurs tiges, attendant les soins que commençait à prodiguer la jeune fille.
Je grimpais sur un arbre pour avoir un meilleur point de vue et l'observais se pencher sur les plantes pour s'en occuper. Elle en coupait certaines pour le mettre dans le panier qu'elle avait posé près d'elle. Je sentais parfois le parfum de basilic ou de jasmin se mélanger. Ainsi, la sorcière était en fait une botaniste ? Je résistais à l'envie de faire une photo pour l'envoyer à Antoine et lui montrer à quel point les rumeurs étaient idiotes.
"- C'est une vraie freaks" avait-il dit.
Je levai les yeux au ciel. Bien évidemment, elle n'était ni une sorcière, ni une folle. C'était juste une fille un peu étrange qui cultivait son jardin secret dans le sens premier du terme. Je sorti mon téléphone et le mis en mode vidéo pour le cadrer sur Adelaïde.

C'est alors qu'elle se mit à chanter. Le vent se leva d'un coup et les fleurs, les plantes, les arbustes, les buissons se mirent tous à bouger en rythme, bruissant, carillonnant, comme un millier de clochettes. Sa voix était puissante et clair, ses yeux s'étaient fermés et ses bras ouverts. Et le vent tournait autour d'elle. Et les feuilles des arbres sifflaient. Et moi, figé, j'écoutais. J'étais littéralement envouté par la musique qui m'entourait. Le temps n'existait plus. Tout était en mouvement, ma tête tournait, mon cœur battait à un rythmes frénétique, comme si la voix lui ordonnait de sortir, mais mes yeux restaient fixés sur la silhouette qui chantait une chanson sans paroles. Une musique dont les seuls instruments étaient la nature et elle.
- Sorcière... murmurai-je. Mais au plus profond de moi, je pensais : fée.